En effet, après la délivrance d’un savoir général (acquis lors des années du collège et du lycée), les individus sont tenus de développer des connaissances spécifiques pour s’intégrer professionnellement. Les études universitaires sont un moyen pour permettre l’acquisition de nouveaux savoirs et ainsi construire son avenir professionnel. À ces apprentissages pédagogique et théorique s’opposent (et/ou se complètent) l’apprentissage pratique, qui se développe sur le terrain de manière quotidienne.

 

Appliqué au droit du travail, nul doute ne persiste pour affirmer la connaissance sommaire que les salariés détiennent en matière de dialogue social, et plus particulièrement sur les dynamiques de relations collectives. En effet, même si la grande majorité des étudiants est appelée à devenir des salariés, ces derniers ne sont pas préparés à être des acteurs sociaux, autrement dit à connaître les dynamiques permettant d’assurer et de faire reconnaître les droits auxquels ils peuvent légitimement prétendre. Les représentants du personnel eux-mêmes sont quelques fois dépourvus de ces savoirs pourtant nécessaires pour exercer leurs missions de représentation de la collectivité de travail. Le législateur est donc intervenu pour affirmer et renforcer le besoin de formation de ces salariés particuliers. Néanmoins, l’intervention du pouvoir législatif et les dispositions issues du Code du travail ne doivent pas constituer un frein pour que l’entreprise aille plus loin dans la perspective de permettre l'accroissement des connaissances de leurs principaux interlocuteurs sociaux.

 

Aujourd'hui, tout collaborateur de l’entreprise bénéficie de l’opportunité de se former. En vertu de l’article L. 6321-1 du Code du travail, l’employeur est tenu non seulement à une obligation d’adaptation au poste de travail mais aussi à une obligation d’accroissement des compétences des salariés. La formation est un élément majeur pour maintenir et développer l’employabilité. Le parcours syndical s’appuie sur la dynamique enclenchée dans la sphère professionnelle. Ainsi, les salariés investis de missions représentatives bénéficient de formations spécifiques dont l’origine peut être aussi bien légale que conventionnelle. Dès lors « on passe d’une formation des individus par le syndicalisme à une formation au syndicalisme[1] ».

 

Dialogue social : loyauté et/ou confiance ?

Le dialogue social comme tout dialogue suppose d’établir une certaine loyauté, qui inclut dès lors le respect à l’égard de son interlocuteur. La loyauté a-t-elle pour synonyme la confiance ? Ce sentiment est-il envisageable lorsqu’il s’agit de promouvoir le dialogue social ? Ces deux dynamiques sont distinctes mais elles ont la possibilité de cohabiter en fonction des relations établies. Ainsi, la loyauté est une composante fondamentale pour espérer faire prospérer le dialogue. Il s’agit d’une qualité morale que tout intermédiaire durant les phases de négociation doit pouvoir développer sous peine de conduire à un échec de l’ambition initiale c’est-à-dire de parvenir à conclure un accord collectif. En revanche, l’absence de confiance n’entraîne pas en elle-même une éventuelle paralysie du dialogue social, dynamique pouvant se manifester dans les hypothèses où la loyauté fait quant à elle défaut. De plus, même si les représentants employeurs et les représentants salariés sont guidés par des ambitions antagoniques, la confiance peut s’installer[2]. « En un mot, le dialogue social ne peut que s’enliser et s’artificialiser dans une société de défiance[3] ». La loyauté de la négociation appelle, dans une certaine mesure, la promotion de l’« égalité des armes », principalement lorsqu’il s’agit d’interagir sur les enjeux économiques et sociaux.

 

L’opportunité du recours aux formations communes

 

« Améliorer les pratiques des relations sociales en entreprise en France est nécessaire et possible. Pour y contribuer, le gouvernement a souhaité renforcer la formation des acteurs du dialogue social par la création des formations communes réunissant des représentants des employeurs avec des représentants des salariés, telles que prévues aux articles L. 2212-1 et suivants du Code du travail[4] ».

La négociation collective est complexe, mais celle-ci peut s’apprendre et se perfectionner. Les acteurs de la négociation doivent permettre au dialogue social de prospérer. « La maîtrise technique de certains processus, la capacité à prendre des décisions de façon autonome [pour] trouver des solutions adaptées à chaque situation[5]» est un objectif à atteindre. Il faut développer « un dispositif de connaissances, regroupant à la fois des savoirs, des savoir-faire et des savoir-être, devant permettre non seulement l’identification de problèmes, mais également leur résolution par une action efficace[6] ». Ces formations communes sont alors régies par trois « principes pédagogiques[7] ». Tout d’abord, le principe de neutralité s’est imposé pour permettre la construction d’un véritable échange entre les parties. La communication est de fait un élément central dans la promotion d’un dialogue social constructif. Chacun des stagiaires doit avoir la possibilité d’exposer son point de vue sans subir l’affront de son opposant. De plus, les formateurs ne sont pas titulaires d’un rôle passif puisqu’ils sont tenus d’animer et de réguler les échanges. Survient ensuite la question de l’équidistance, envisagée comme une condition de la confiance mutuelle s’agissant tant du contenu délivré que de la relation en elle-même. Enfin, l’ultime « règle » consiste à enclencher une certaine empathie au regard des propos exprimés par son interlocuteur soit dans les mots employés soit dans le comportement adopté. L’une des pierres angulaires du dialogue social repose sur l’écoute et l’attention, éléments semblant artificiels  au sein de certaines entreprises.

Le dispositif des formations communes ne poursuit pas l’ambition de façonner des négociateurs professionnels mais de sensibiliser les différents acteurs sur leurs comportements et leurs actions. Ainsi, les différends professionnels ne sont pas en tant que tels des freins à l’existence d’un dialogue social dès lors que les acteurs démontrent leurs capacités à dépasser ces clivages. Cela n’est pas toujours aisé à asseoir en pratique, d’où la nécessité de bénéficier d’un accompagnement « sur-mesure » avant même d’intégrer la phase de négociation au sens strict, qui portera quant à elle sur la dimension juridique des normes de droit du travail. Le recours à des jeux de rôle est une possibilité pour envisager la négociation dans une perspective différente et pour comprendre les contraintes de son interlocuteur (que cela soit à l’égard des attentes de la hiérarchie ou bien de la ligne conductrice de la fédération syndicale, des capacités financières, etc.). L’objectif des formations communes est d’en apprendre davantage sur son cocontractant, considéré comme étant la partie adverse. Être l’adversaire d’un individu, en tant qu’intermédiaire titulaire d’une finalité commune guidé par des intérêts divergents, n’engendre pas automatiquement une connotation négative. Si tel est le cas, ce mouvement est sans doute la résultante de comportements adoptés par ces derniers. Les DRH et les organisations syndicales doivent se percevoir comme des partenaires de travail parce qu’ils concourent à un objectif commun avec des attentes qui en revanche oscillent sensiblement.

 

De plus, lorsque les interlocuteurs ne se connaissent pas, une atmosphère assez froide peut être ressentie, situation qui n’est également pas propice à l’échange. C’est ainsi que les formations communes proposent diverses techniques pour inciter à la discussion. La relation de travail est placée au cœur du dispositif notamment parce que le droit du travail est un droit où la dimension humaine est particulièrement prégnante. « Centrer la pédagogie sur la relation entre les acteurs[8] c’est créer les conditions pour mettre en capacité les acteurs de comprendre que la relation a des répercussions sur le processus et les résultats[9] ».

 

Les représentants de salariés et les représentants employeurs doivent prendre conscience que leurs relations affectent l’entreprise de manière globale. Ces formations sont un moyen d’offrir une nouvelle ère aux entreprises qui connaissent des difficultés de dialogue mais qui désirent remédier à ces blocages. Cependant, il semblerait que le bénéfice de ces formations ne concerne aujourd’hui qu’une minorité d’entreprises car il faut non seulement avoir conscience que le dialogue social est un précieux outil en matière de relation collective mais aussi être en capacité de dresser un bilan pour le moins mitigé du déploiement réalisé. Hervé Lanouzière[10] rappelle qu’« apprendre à négocier ensemble est un virage culturel tellement important et innovant en France que la mise en place prend du temps. Les acteurs ont très envie de suivre ces formations mais ne s’y lancent pas spontanément […]. La direction ou des managers, pas habitués à ce type de pratique, peuvent avoir l’impression qu’ils sont en train de tout céder aux organisations syndicales, en entrant dans du participatif à outrance. Et inversement, les organisations syndicales et représentants du personnel peuvent penser qu’ils vont perdre leur âme et se faire instrumentaliser […].

[1] I. Martinache, La formation syndicale en mouvement(s), Idées économiques et sociales, 2011/1, n°163, p. 37.

[2] Ce sont non seulement les circonstances mais également les actions établies qui permettent de parvenir à cet état.

[3] P.-Y. Verkindt, L’association des syndicats à l’élaboration de la loi, Droit social, 2015, p. 954.

[4] https://travail-emploi.gouv.fr/dialogue-social/negociation-collective/article/formations-communes-au-dialogue-social

[5] D. Bouteiller, « Développer les compétences », in A. Bourhis et D. Chênevert, À vos marques, prêts, gérez. La GRH pour gestionnaire, Éditions du renouveau pédagogique, 2009, p. 288.

[6] J. Tardif, « Le Transfert des compétences analysé à travers la formation de professionnels », in P. Meirieu, M. Develay, C. Durand et Y. Mariani, Le Concept de transfert de connaissances en formation initiale et en formation continue, Centre régional de documentation pédagogique de l’Académie de Lyon, 1996, p. 31.

[7] Décret n° 2017-714 du 2 mai 2017 relatif aux formations visant à améliorer les pratiques du dialogue social communes aux salariés, aux employeurs, à leurs représentants, aux magistrats judiciaires ou administratifs et aux agents de la fonction publique.

[8] « Centrer la pédagogie sur la relation amène les parties à: – réfléchir et dialoguer sur la manière d’entrer en relation alors qu’elles ont l’habitude de se parler du contenu; – regarder dans sa propre cour et être sensibles à l’interaction; – dépersonnaliser, éviter de se placer sur le terrain des causes ; – écouter vraiment; – s’exprimer utilement; – définir, respecter et reconnaître les rôles ; – distinguer les ressentis des faits… ».

[9] Cahier des charges général relatif aux formations communes aux salariés, aux employeurs, à leurs représentants, aux magistrats judiciaires ou administratifs et aux agents de la fonction publique pris conformément à l’article R.2212-2 du code du travail, Travail n°2018/7 du 30 juillet 2018, p. 70.

[10] Directeur de l’INTEFP depuis octobre 2019. Auparavant, il fut directeur général de l’ANACT (2012-2017) et inspecteur auprès de l’Igas – Inspection générale des affaires sociales (2017-2019).