Philippe FloresAvec l'arrêt du 29 juin 2011, la Cour de cassation a rappelé que le droit à la santé et à la sécurité était une exigence constitutionnelle et que les dérogations à la durée du travail ne pouvaient se faire que dans le respect des principes de sécurité posés par le droit communautaire. Elle a ensuite précisé les conditions dans lesquelles les partenaires sociaux pouvaient organiser le recours au forfait en jours. En posant les conditions de validité de l'accord collectif, la Cour de cassation a, d'abord, écarté les critiques issues du droit européen et assuré la validité même du système du forfait en jours.

 

Pouvez-vous nous préciser le contenu des nouvelles garanties exigées par la chambre sociale afin de sécuriser le forfait jours ?

Ph. F. : La jurisprudence de la Chambre sociale est fondée sur la nécessité, pour l'accord collectif, de garantir tant les temps de repos journaliers et hebdomadaires, que les durées maximales de travail. Ces garanties doivent se manifester par le caractère raisonnable de l'amplitude et la bonne répartition dans le temps de la charge de travail. La Chambre sociale ne se satisfait pas de simples pétitions de principes exprimées dans l'accord collectif. Elle vérifie concrètement, d’une part, ce qui a été prévu pour prévenir les temps de travail excessifs ou les insuffisances de repos et, d'autre part, les mécanismes mis en place pour y remédier lorsque des incidents surviennent. Ce qui importe avant tout c'est l'effectivité des garanties en matière de respect des durées maximales de travail et des temps de repos. L'organisation du forfait en jours permet une approche pragmatique, qui peut répondre aux besoins et aux particularités des branches ou des entreprises. Mais elle ne doit pas laisser le salarié seul devant une charge de travail qui pourrait être excessive. L'autonomie du salarié n'exonère pas l'employeur de ses obligations en matière de santé et de sécurité. Le forfait en jours appelle d'autres outils, moins quantitatifs, plus qualitatifs, mais dont l'efficacité doit être éprouvée.

 

Pensez-vous que d’autres accords devront être modifiés au regard des nouvelles exigences jurisprudentielles ?

Ph. F. :À ce jour, il est bien évidemment impossible de se livrer à un quelconque pronostic sur les risques d'invalidation de tel ou tel accord collectif. Et ce d'autant plus que, pour vérifier la validité d'un système de forfait en jours, la Chambre sociale analyse l'ensemble du dispositif conventionnel applicable, en combinant, le cas échéant, accord de branche et accord d'entreprise ou d'établissement, l'un pouvant pallier les carences de l'autre. Il n'en demeure pas moins qu'il est de l'intérêt même de l'ensemble des partenaires sociaux de procéder à une analyse approfondie des dispositifs conventionnels applicables afin d'apprécier si ceux-ci apportent ou non les garanties nécessaires, et, à défaut, engager les démarches pour réviser l'accord et le mettre en conformité, sans qu'il soit nécessaire d'attendre l'intervention d'une décision judiciaire.

 

À terme, quel est selon vous l’avenir du forfait jours ?

Ph. F. : Le forfait en jours correspond manifestement aux besoins des entreprises et de certains travailleurs, pourvu qu'il soit utilisé de façon adaptée et dans le respect de la loi quant aux exigences d'autonomie des salariés concernés. Il ne s'agit pas d'écarter des règles contraignantes, mais de permettre une autre organisation du travail. Cela implique de poser lucidement la question de l'objet du forfait jours, de son adéquation à l'organisation de l'entreprise, des tâches des salariés, des contraintes de production et des besoins réels de l'entreprise au regard des exigences de santé et de sécurité au travail et de trouver les solutions qui assurent le respect des durées maximales de travail et des temps de repos. Le législateur ayant délégué aux partenaires sociaux la responsabilité de la mise en œuvre du forfait en jours pour les salariés remplissant les conditions d’autonomie, c'est donc également au niveau de l'accord collectif que doivent être définies les garanties en matière de durée du travail. Il appartient donc aux partenaires sociaux de s'emparer de ces questions, de combiner l'autonomie du salarié, la souplesse de l'organisation du travail avec la nécessité d'assurer une bonne répartition de l'amplitude et de la charge de travail tout au long de l'année. Si ce travail est fait, il ne fait aucun doute que l'avenir des forfaits en jour n'est pas menacé.

 

Pour aller plus loin :  
Lettre trimestrielle FO-Cadres n°157 - "Temps de travail : forfait jours"
Sécurisation du forfait jours : du chemin reste à parcourir
La convention de forfait en jours sur l'année