Derrière l’idée d’une autre vision de la gouvernance et d’un dépassement des clivages entre la droite et la gauche, ce sont une fois de plus des politiques libérales qui se profilent. Neuf ans après la crise de 2008, l’état de notre pays, fracturé par des politiques d’austérité, par le creusement des inégalités et la croissance du chômage, rend pourtant urgents l’apaisement et la reconstruction des solidarités.

Nul doute que les responsabilités du nouveau président sont immenses et les chantiers nombreux. Si l’heure n’est pas au procès d’intention, le respect des interlocuteurs sociaux doit en revanche être au rendez-vous. Or, la mise en œuvre de la réforme du Code du travail par voie d’ordonnances, promesse de campagne d’Emmanuel Macron, n’est pas de bon augure. Certes, le président comme son Premier ministre rappellent que le temps de la concertation sera respecté. Mais la question est évidemment de savoir sur quelle base reposera cette concertation et quelles finalités elle poursuivra. Si le choix est celui d’une simplification qui intégrerait des jurisprudences bien établies, le résultat peut se révéler très efficace pour de nombreuses entreprises, notamment les plus petites d’entre elles. En revanche, si le choix est de durcir la loi Travail avec la mise en œuvre d’un plafonnement des indemnités prud’homales pour licenciement abusif et l’abandon des négociations collectives de branches au seul profit de la négociation d’entreprise, le risque d’un affrontement social est réel.

Avec 6,6 millions d’inscrits à Pôle emploi, des inégalités de revenus toujours plus grandes, une précarisation croissante des emplois (4,3 millions de CDD de moins d’un mois ont été conclus par trimestre en 2016, contre 1,7 million en 2000), et les craintes que suscite l’essor des plateformes numériques, l’idée que la précarisation et la paupérisation soient la seule perspective pour lutter contre le chômage n’est pas de nature à redonner de l’espoir aux travailleurs. La peur du déclassement et la colère face à l’injustice auront vite fait d’alimenter les discours les plus extrêmes.

Si l’audace semble présider à la destinée de notre pays, souhaitons qu'elle soit de nature à infléchir l’austérité budgétaire permanente au plan européen. Ce qui oblige à encore plus de courage pour exiger une véritable réforme des traités, sans croire que le seul chemin soit celui des « réformes » libéralisant le marché du travail et réduisant la protection sociale. Cette dernière voie fut celle du président Hollande. Nous en connaissons l’amer bilan. Alors, espérons que le nouveau président fasse valoir non pas son droit à l’erreur, mais son droit à la déconnexion… vis-à-vis des politiques économiques qui n’ont eu de cesse de renforcer la fracture sociale.

Eric PERES

Paris, le 18 mai 2017