Plus encore, le texte remet en cause la hiérarchie des normes puisque l'accord collectif de branche ne devient que supplétif, il ne pourra s'imposer qu'à défaut d'accord d'entreprise. C'est donc entreprise par entreprise que la mise en place des forfaits jours sera négociée avec tous les risques que cela aura en matière de garanties collectives.



Quels sont les salariés qui peuvent être soumis à un forfait jours ?


Là également, la loi n'accorde aucune garantie supplémentaire pour le recours aux forfaits jours. Elle ne pose aucun critère objectif pour définir « l'autonomie ». Toujours dans cet esprit d'extension sans critères légaux objectifs, la loi reprend la loi dite PME du 08/02/2005 qui avaient étendu aux non cadres les forfaits jours. Trop nombreux sont les cadres qui ont été soumis à un forfait jours alors qu'ils ne bénéficiaient pas d'autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps.


Ici l'enjeu est donc de déterminer le plus précisément possible dans l'accord collectif les catégories de salariés susceptibles de conclure une convention de forfait. Sur ce point, la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation précise dans l'arrêt PAINDOR du 26/03/2008, que lorsque l'accord collectif prévoit que la convention de forfait en jours s'appliquera aux cadres dirigeants et aux cadres commerciaux, elle ne peut pas être imposée à une autre catégorie de salariés, en l'espèce un cadre technique.



Combien de jours par an, au maximum, un cadre pourra-t-il désormais travailler ?


Pour rappel, avec la loi AUBRY II, l'accord collectif devait fixer le nombre de jours travaillés, ce nombre ne pouvait dépasser 218 jours. Toutefois les accords collectifs pouvaient déterminer un nombre inférieur à celui-ci. Avec cette nouvelle loi, le plafond de 218 jours n'existe plus. Les accords collectifs doivent désormais fixer une durée annuelle de travail (218 jours maximum) et un plafond (nombre maximal de jours travaillés par an).


Aussi et même si aucun cadre ne pourra se voir fixer dans son contrat de travail un forfait supérieur à 218 jours, un employeur pourra lui demander d'effectuer des jours supplémentaires au delà de son forfait et jusqu'à 64 jours de travail en plus. En effet par accord collectif, le nouveau plafond fixé dans le seul respect des dispositions relatives aux repos quotidien, hebdomadaire, aux jours fériés chômés dans l'entreprise et aux congés payés peut atteindre 282 jours de travail par an.


Cela signifie donc qu'un employeur pourra légalement demander à un cadre en forfait jours de travailler les samedis et les jours fériés autres que le 1er mai.


A défaut de fixation dans l'accord collectif d'un plafond maximal de jours travaillés, la loi fixe automatiquement 235 jours, soit 17 jours de travail en plus. Aussi, un employeur pourra légalement demander à un cadre au forfait jours de travailler les jours fériés, autres que le 1er mai.


De plus, un employeur qui souhaite fixer un plafond annuel de 282 ou à défaut d'accord de 235 jours de travail sera tenter de dénoncer ou de réviser la convention collective dans laquelle le repos des jours fériés est prévu.



Quelles sont les conséquences de l'allongement des forfaits jours sur les jours de repos ?


Comme nous l'avons déjà indiqué, l'allongement de 218 maximum à 235 et jusqu'à 282 jours par accord collectif, remet en cause indirectement les jours fériés chômés dans l'entreprise et directement les jours de RTT et les jours de repos en dépassement du plafond. En effet pour ces derniers, avec la loi AUBRY II, lorsque le cadre dépassait le plafond de jours travaillés, il devait récupérer ses jours de travail supplémentaires sous forme de repos. Les jours reportés venaient réduire le plafond de l'année suivante, qui à son tour ne pouvait être dépassé. Cette disposition rendait le dépassement des forfaits exceptionnel en raison de la « contrainte » imposée à l'employeur de faire récupérer en jours de repos les jours de travail supplémentaires.


Avec la nouvelle loi, l'obligation pour l'employeur de faire récupérer les jours en dépassement du forfait ne sera plus appliquée, puisque celui-ci pourra désormais négocier de gré à gré avec le cadre « volontaire », le rachat de jours de repos en échange d'une majoration de salaire de 10 % minimum.


Comment le gouvernement peut-il parler de garanties supplémentaires, alors que le cadre, désormais « invité» par son employeur à travailler plus (et à renoncer à ses jours de repos), pourra difficilement refuser ce «marché » sans en subir les conséquences.


Avec cette réforme, un cadre soumis à un forfait de 218 jours pourra se voir imposer de travailler jusqu'à 64 jours de plus. Ce chiffre pourra aller encore au delà lorsque le cadre bénéficie d'un forfait inférieur à 218 jours. Dans tous les cas et pour tous, le désormais célèbre "travailler plus" se soldera par... ZERO RTT.



Quelles sont les conséquences de la réforme sur les accords collectifs existants ?


Les accords collectifs existants resteront en vigueur. La loi ne fixe pas d'échéance de validité pour les accords conclus. Toutefois, en cas de dénonciation ou de révision de l'accord collectif relatif à la réduction du temps de travail, la nouvelle législation s'imposera. Plus encore, même en l'absence de dénonciation ou de révision de l'accord collectif et dès à présent, un cadre pourra se voir imposer de racheter ses jours de RTT.



Existe-t-il de nouvelles garanties associées au forfait jours ?


Indépendamment des points précédemment développés et contrairement aux propos de Xavier Bertrand, Ministre du Travail, nous ne constatons aucune garantie nouvelle accordée aux forfaits jours. Plus encore, nous voyons dans ce texte une véritable régression des acquis.


En effet, pour ce qui concerne le contrôle de la durée du travail, le texte indique que « L'accord collectif fixe les caractéristiques principales de ces conventions », et ajoute que « Le comité d'entreprise est consulté chaque année sur le recours aux conventions de forfait ainsi que sur les modalités de suivi de la charge de travail des salariés concernés. »


Rappelons que sous le régime de la loi AUBRY II l'accord collectif devait prévoir les modalités de suivi et de contrôle de la durée du travail.
La durée du travail devait être décomptée chaque année par récapitulation du nombre de journées ou de demi-journées travaillés pour chaque cadre concerné par le forfait jours. Ce document devait être tenu à la disposition de l'inspecteur du travail pendant une durée de 3 ans, sous peine de sanctions pénales pour l'employeur.
Aussi, la loi par une formulation imprécise ne détermine plus les mentions obligatoires de l'accord. De plus, les attributions accordées au comité d'entreprise sont amputées de la notion de contrôle de la durée du travail.


Plus encore, le texte « sort » le suivi de la durée du travail du cadrage conventionnel pour le remplacer par un entretien annuel individuel portant notamment sur la charge de travail.


On ne peut que rester dubitatif sur la portée et l'efficacité pratique de cet entretien pour le cadre, qui éprouvera les pires difficultés à faire comprendre à son employeur que son nouveau forfait à rallonge a des effets néfastes sur sa vie privée et familiale.