La lutte pour l'égalité hommes-femmes au travail va-t-elle subir un retour en arrière avec la loi Rebsamen sur le dialogue social, qui doit être votée, mardi 2 juin, à l’Assemblée nationale ? C'est ce que craignent plusieurs femmes politiques, dont huit anciennes ministres de tous bords, qui ont publié le 28 mai une tribune pour dénoncer le « recul du gouvernement » sur la question.

Que prévoyait la loi jusqu'ici ?
Aujourd'hui, lorsqu'une entreprise dépasse les 50 salariés, elle doit mener une négociation avec les syndicats afin de se mettre d'accord sur des objectifs d'égalité professionnelle et salariale entre les femmes et les hommes dans l'entreprise, ainsi que sur les mesures permettant de les atteindre.


Cette négociation s'appuie sur le « rapport de situation comparée » (RSC). Celui-ci – instauré par la loi Roudy de 1983 et renforcé par la loi Génisson du 9 mai 2001 – est en fait une auto-analyse que doit livrer chaque année l'entreprise sur les inégalités entre hommes et femmes. Il répond à des critères précis (sur la base des salaires, de l'accès à la formation, du déroulement de carrière…) et propose des actions à mener.

Seules les entreprises de plus de 300 salariés sont tenues de publier ce rapport. Les entreprises qui n’en comptent que de 50 à 299 peuvent s'en passer mais doivent néanmoins recueillir des informations sur l'inégalité professionnelle en leur sein et proposer des plans d'actions.

Les petites entreprises – moins de 50 salariés – ne sont pas soumises à ces exigences même si elles doivent elles aussi théoriquement « prendre en compte les objectifs en matière d'égalité professionnelle » et les mesures adéquates.

Depuis un décret instauré fin 2012, les entreprises concernées qui ne sont pas parvenues à un accord à la suite des négociations et qui ne proposent pas non plus de plan d'action sont sanctionnées d’une pénalité financière pouvant aller jusqu'à 1 % de la masse salariale.

Que prévoit le projet de loi Rebsamen ?
Dans un souci de modernisation du dialogue social, le projet de loi « relatif au dialogue social et à l'emploi », dit loi Rebsamen, supprime le « rapport de situation comparée » ainsi que les négociations collectives dédiées à la thématique de l'inégalité hommes-femmes.


Cette suppression a provoqué la colère d’associations féministes. Elles craignent notamment que la pénalité financière ne soit de fait plus appliquée. Yvette Roudy, la ministre à l'origine de la loi de 1983, a elle-même lancé une pétition exigeant le rétablissement de ces obligations. La campagne, en ligne sur la plate-forme Change.org depuis le 11 mai, a recueilli près de 45 000 signatures.

Qu'apportent les amendements adoptés ?
Le ministre du travail, François Rebsamen, se défend d'avoir voulu remettre en cause les avancées en termes d'égalité professionnelle et parle d'un « malentendu ». Pour autant, plusieurs amendements ont été ajoutés au projet.


Les négociations consacrées à l'égalité hommes-femmes ne disparaissent pas : elles sont intégrées à une des trois grandes négociations thématiques désormais imposées aux entreprises, là où on en comptait douze auparavant. « En l'absence d'accord [à l'issue des négociations], l'obligation de l'employeur de déposer un plan d'action spécifique est maintenue, souligne Marisol Touraine, ministre des affaires sociales. Les entreprises qui ne respectent pas ces obligations encourront évidemment des pénalités. »

Quant au « rapport de situation comparée », il est lui aussi fondu dans un ensemble plus large, avance le gouvernement : une base de données statistique unique, que l'employeur devra tenir à jour, et qui comprend également d'autres indicateurs chiffrés, comme sur le handicap ou la pénibilité.

Le ministre du travail a tenu à rappeler que son projet de loi contenait de plus « pour la première fois l'obligation d'une représentation équilibrée lors des élections professionnelles, ce qui constitue une avancée importante en matière d'égalité entre les femmes et les hommes ».

Ces arguments n'ont pas suffi à convaincre les associations féministes, qui redoutent que, noyées dans ces grands ensembles, les statistiques sur l'égalité professionnelle ne soient plus aussi complètes ni aussi prioritaires. La tribune signée par plusieurs anciennes ministres – dont Cécile Duflot (EELV), Aurélie Filippetti (PS) et Rama Yade (PR) – va d'ailleurs dans ce sens et réclame de nouveau une modification du texte.

Encore 27 % d'écart de salaire entre hommes et femmes
Plusieurs autres lois encadrent déjà l'égalité entre hommes et femmes au travail. L'égalité de rémunération, par exemple, est inscrite dans le Code du travail depuis 1972. Pour autant, les écarts de rémunération et les inégalités professionnelles persistent.


Selon une étude de la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques datant de 2009, les salaires des hommes restent en moyenne 27 % plus élevés que ceux des femmes. En équivalent temps plein, les salaires des femmes demeurent inférieurs de 20 % à ceux des hommes dans le privé et d'environ 15 % dans le public. Par ailleurs, 30 % des femmes salariées travaillent à temps partiel, contre 7 % de leurs collègues masculins.

A la retraite, la situation ne s'améliore pas pour les femmes, qui perçoivent une pension d'en moyenne 1 165 euros, contre 1 749 euros pour les hommes.

Quand la loi sera-t-elle adoptée ?
Le projet de loi sera soumis mardi 2 juin à un vote solennel de l’Assemblée nationale. Il sera examiné au Sénat à partir du 22 juin, en vue d'une adoption définitive d'ici à la pause estivale.