La culpabilité : bon ou mauvais sentiment ? Selon quelques uns, « les effets de la culpabilité peuvent être positifs. La culpabilité est une sanction interne qui empêche des comportements guidés par la recherche du plaisir et le strict intérêt égoïste. Elle est à l’origine de comportements, tels que l’altruisme, l’équité, la confiance, la réciprocité et la coopération, éléments nécessaires aux organisations performantes. Une personne capable d’éprouver de la culpabilité ne fraudera pas, même si elle pourrait avoir un intérêt matériel à le faire. Le désagrément apporté par la culpabilité en fait une émotion efficace pour ne pas fournir qu’un travail minimum, améliorer la conformité, renforcer les liens sociaux et le sens de l’obligation envers autrui[1] ». Ce panorama élogieux est quelque peu à nuancer. En effet, un sujet se sentant coupable peut se plonger dans une spirale néfaste alors même que les circonstances échappent à son contrôle.

Certains estiment que ce sentiment de culpabilité doit être perçu comme un garde-fou permettant ainsi de dresser les frontières entre ce qui est bien et de ce qui peut être perçu comme mal. Cependant, cette analyse est dépendante de facteurs personnels. La frontière entre le bien et le mal varie en fonction du curseur pointé par chacun pour déterminer ce que ces notions représentent. La culpabilité ne risquerait-elle pas de faire émerger un sentiment de honte ou bien d’embarras ? Dans certaines hypothèses, ces caractéristiques s’entrevoient et peuvent se faire pressantes dans diverses situations liées au travail : (1) au regard de la santé du salarié : un arrêt de travail, une grossesse, un burn-out, etc. (2) ou bien à l’exécution du contrat de travail : horaire de travail, charge de travail, mode d’organisation du travail, etc.

Dans ces espèces, la culpabilité appelle souvent des sentiments négatifs et le sujet s’autocritique avec des injonctions. Cette culpabilité exercée en milieu professionnel perturbe les conditions de travail d’un salarié. Comment réagir lorsque notre collègue nous interpelle à 18h en lançant « tu prends ton après-midi ? ». En lisant cet article, la question peut faire sourire et être perçue comme le stéréotype même des phrases entendues sur le lieu de travail. Pourtant celles-ci existent incontestablement. La manière dont la remarque est perçue jouera intimement sur les comportements ultérieurs des salariés qui en ont été les destinataires. Dans un premier temps, le salarié pourra être tenté de se justifier alors même que son départ lui paraissait légitime. La remarque de cette personne, bien que n’étant pas son supérieur hiérarchique, l’invite dans un premier temps, soit à remettre sa décision en cause, soit à provoquer un profond malaise, puis dans un second temps, ce salarié hésitera toujours avant de partir après sa journée de travail. Le jugement de l’extérieur impose à l’individu de réfléchir à ses actions, sans pour autant qu’il ne soit en tort. La culpabilité nous affecte-t-elle ou nous infecte-t-elle ? A l’éternel fléau de l’absentéisme au travail, se développe simultanément la problématique du présentéisme parce qu’il n’est pas toujours évident de prendre de la distance par rapport aux propos exprimés par les collègues de travail à son égard, ou même plus largement de sa hiérarchie.

Le télétravail est-il un mode d’organisation du travail susceptible de développer (ou même d’accroître) ce sentiment de culpabilité ? Potentiellement oui. Pourtant l’ambition même est de permettre aux salariés de trouver un meilleur équilibre entre leur vie personnelle et leur vie professionnelle. Certes un grand nombre de salariés ont dû pleinement s’accaparer cette mise en œuvre durant la période de confinement mais cette utilisation n’a pas été faite sans heurt. L’efficacité de ce dispositif demeure dans l’anticipation de son appropriation. Combien d’entre vous ne se sont pas dits « je vais envoyer un mail pour montrer à mes supérieurs que je suis effectivement présent derrière mon ordinateur et que je travaille ? ». Non vous n’êtes pas seul à tenter de vouloir justifier votre efficacité en télétravail, comme si cette organisation du travail était une faveur de votre employeur, alors qu’il s’agit d’un droit et d’une possibilité de déployer autrement les missions qui découlent de votre contrat de travail. L’envoi de mails est alors l’alternative numérique au présentéisme précédemment exposé, et ce d’autant plus lorsque les salariés subissent des remarques désobligeantes de leurs collègues au moment de la survenance des journées de télétravail. Aujourd’hui et avec la généralisation de ce dispositif, ces commentaires inappropriés se dissipent, mais la culpabilité du salarié quant à sa charge de travail à réaliser en télétravail ne diminue pas. Des interrogations nouvelles accaparent son esprit : « mon supérieur ne va-t-il pas m’oublier s’il ne me voit pas ? Est-ce que je suis traitée de la même manière que mes collègues physiquement présents au bureau ? ». Le télétravail n’est pas une absence mais une présence autrement.

D’une manière générale, ce sentiment de culpabilité ne serait-il pas inscrit dans la culture française ?

L’équipe FO-Cadres.

[1] Bénédicte Berthe et Camille Chédotal, La culpabilité au travail : La parole aux salariés, Relations industrielles, Volume 73, Numéro 2, Printemps 2018, p. 295–318.