◗ Que recouvre exactement le droit d'expression ?

Droit d'expression collective — Les salariés bénéficient « d'un droit à l'expression directe et collective sur le contenu, les conditions d'exercice et l'organisation de leur travail ».

Ce droit s'exerce dans le cadre de réunions organisées « sur les lieux et pendant le temps de travail » (C. trav., art. L. 2281-4). Il s'agit donc d'une protection restreinte, puisqu'elle ne s'applique qu'aux propos tenus pendant ces réunions. Par ailleurs, l'exercice de ce droit d'expression trouve sa limite dans un éventuel abus du salarié.

Exemple : un salarié alerte, au cours d'une réunion au cours de laquelle étaient présents la direction et plusieurs salariés, sur la façon dont sa supérieure hiérarchique lui demandait d'effectuer son travail, qui allait selon lui à l'encontre du bon sens et lui faisait perdre beaucoup de temps et d'énergie, ce qui avait pour effet d'entrainer un retard dans ses autres. L'abus par le salarié dans l'exercice de son droit d'expression directe et collective n'était pas caractérisé (Cass. soc., 21 sept. 2022, no 21-13.045).

Droit d'expression en tant que liberté fondamentale — Le salarié jouit d'une liberté d'expression entendue comme liberté fondamentale et celle-ci peut s'exprimer aussi bien dans l'entreprise que hors de celle-ci. Par ailleurs, l'exercice de ce droit trouve sa limite dans un éventuel abus du salarié. L'abus dans la liberté d'expression se matérialise par des propos injurieux, diffamatoires, excessifs, des dénigrements ou des accusations non fondées. Les juges se fondent sur la teneur des propos, le contexte, la publicité qu'en a fait le salarié ainsi que fonctions exercées par le salarié.

 

◗ Les critiques à l'encontre d'un supérieur hiérarchique justifient-elles un licenciement ?

Sauf abus, les critiques ne justifient pas en principe un licenciement.

Exemples :

• N'est pas justifié le licenciement d'un directeur général qui a, lors de comités de direction et de comités exécutifs, affiché une divergence fréquente avec les enjeux stratégiques et a exprimé sa position dans un document de travail remis au consultant désigné par la direction pour mener un séminaire de réflexion stratégique. En effet, le document en question ne comportait aucun terme injurieux, diffamatoire ou excessif. D'autres documents contenant des critiques plus vives avaient également été retrouvés dans son ordinateur mais ils n'avaient pas fait l'objet d'une diffusion publique (Cass. soc., 15 mai 2019, no 17-20.615).

• A été valablement licenciée pour faute grave, l'adjointe de direction qui, en présence du personnel et à plusieurs reprises, a traité ouvertement son supérieur hiérarchique et directeur de l'établissement de « bordélique qui perd tous ses papiers », de « tronche de cake », qu'il n'est pas « apte à être directeur » et qu'il n'est rien d'autre qu'un « gestionnaire comptable » (Cass. soc., 6 mars 2019, no 18-12.449).

• Commet une faute grave l'égoutier-chauffeur (17 ans d'ancienneté) qui émet des critiques virulentes auprès d'un client important sur la qualité du travail accompli par le personnel et sur la compétence des dirigeants de la société dans laquelle il travaillait (Cass. soc., 25 janv. 2000, no 97-43.577).

 

◗ Un cadre peut-il manifester son désaccord sur la politique de l'entreprise ou a-t-il une obligation de réserve ?

Sauf abus, le cadre bénéficie de la liberté d'expression. Néanmoins, de par leurs fonctions, les cadres, et notamment les cadres dirigeants, se voient imposer une obligation de réserve renforcée. 

Exemples :

• Un directeur administratif et financier est licencié pour avoir remis au comité de direction un document contenant de vives critiques sur la nouvelle organisation et pour avoir ainsi manqué à son obligation de réserve. Le document litigieux ne comportait pas de termes injurieux, diffamatoires ou excessifs, le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse (Cass. soc., 14 déc. 1999, no 97-41.995).

• Toutefois, un désaccord profond et persistant, des critiques répétées ou systématiques peuvent justifier un licenciement (Cass. soc., 29 juin 1999, no 97-42.479).

• Un directeur commercial, dans une lettre adressée aux membres du conseil d'administration et diffusée dans l'entreprise, avait critiqué la gestion de l'entreprise et l'action du PDG, en invoquant un manque d'organisation, un laxisme vis-à-vis des fournisseurs et des clients et un manque de communication. La faute grave a été retenue (Cass. soc., 4 févr. 1992, no 89-43.611).

À noter que, si le dénigrement de l'entreprise a été fait dans le cadre d'une conversation privée (Cass. soc., 26 janv. 2012, no 11-10.189), d'une réunion privée et amicale (Cass. soc., 10 oct. 1991, no 89-44.243), le licenciement a toutes les chances d'être jugé sans cause réelle et sérieuse.

 

◗ L'employeur peut-il sanctionner les propos tenus par les salariés sur les réseaux sociaux ?

Oui, dès lors que l'abus de la liberté d'expression est caractérisé. Ainsi, des propos excessifs d'un salarié, publiés sur un site accessible à tout public et dont les termes sont déloyaux et malveillants à l'égard de l'employeur, caractérisent un abus de la liberté d'expression justifiant le licenciement pour faute grave de l'intéressé (Cass. soc., 11 avr. 2018, no 16-18.590).

Au-delà de la caractérisation de l'abus, les propos tenus doivent également avoir un caractère public. Ainsi, dès lors que le salarié publie sur un compte à caractère restreint, dont l'accès est limité à des personnes autorisées et peu nombreuses, ses propos relèvent d'une conversation de nature privée et ne peuvent être qualifiés de faute grave (Cass. soc., 12 sept. 2018, no 16-11.690).

À l'inverse, un salarié qui publie sur son mur Facebook accessible à tous des critiques à l'égard de son entreprise et de sa hiérarchie, excède son droit à la liberté d'expression et peut être licencié pour cause réelle et sérieuse (CA Lyon, ch. soc., 24 mars 2014, no 13/03463).