Les cadres particulièrement exposés
La pression du quotidien professionnel frappe de plein fouet la population cadre : 41 % disent travailler souvent sous pression, contre 24 % des non-cadres. Objectifs élevés, rythmes étendus et hyperconnexion permanente nourrissent un climat de surcharge mentale : 63 % reconnaissent devoir penser à trop de choses à la fois. Ces conditions, associées à la difficulté de déconnexion (65 % continuent à penser au travail après les horaires), pèsent directement sur leur santé.
Près d’un tiers des cadres rapportent une santé mentale fragilisée, avec des troubles du sommeil (54 %), une fatigue persistante (60 %) et une perte de motivation (53 %). Les femmes et les moins de 35 ans apparaissent plus vulnérables. Si un cadre sur cinq a déjà été arrêté pour stress ou épuisement, la majorité continue à travailler malgré des symptômes installés. Cette endurance silencieuse illustre une culture du sur-engagement très présente dans l’identité cadre.
Des entreprises mobilisées mais encore trop peu armées
Portée par la reconnaissance de la santé mentale comme grande cause nationale 2025, la prise de conscience progresse : 26 % des cadres jugent que leur entreprise agit sérieusement sur le sujet, mais 44 % estiment que les actions demeurent limitées à la communication. Un tiers ne voit aucune initiative réelle dans leur structure. Les dispositifs de prévention, lorsqu’ils existent, se concentrent souvent sur le bien-être ou la convivialité, sans traitement de fond des causes organisationnelles.
Les freins identifiés tiennent aussi à la confiance : beaucoup doutent de la confidentialité des outils internes ou craignent d’être jugés. Le manque de formation reste patent : peu de managers ou de salariés disposent des repères nécessaires pour reconnaître et traiter les signaux de détresse psychologique. Les experts interrogés appellent à aller au-delà des approches symboliques pour agir sur la charge de travail, l’organisation et le soutien managérial.
Les managers, acteurs clés mais eux-mêmes fragilisés
Les managers se placent au premier rang des acteurs de la prévention : 93 % considèrent qu’il leur revient d’éviter les situations à risque et 87 % de soutenir leurs collaborateurs en difficulté. En pratique, 89 % évoquent régulièrement les conditions de travail avec leurs équipes et la moitié le font plusieurs fois par mois. Cependant, beaucoup « bricolent » des réponses locales : réaménagements de tâches, flexibilité horaire ou écoute active, sans cadre collectif solide.
Cette position d’interface les expose directement. Deux tiers jugent difficile de repérer les signaux de détresse et 69 % peinent à trouver des solutions concrètes. Entre attentes de la direction et besoins des équipes, ils se sentent parfois pris en étau. Près d’un sur deux redoute de mal faire, un tiers ignore vers qui orienter un salarié en difficulté. Ces dilemmes, souvent vécus dans l’isolement, nourrissent une usure psychique que la plupart ne savent pas signaler.
Une santé mentale managériale en alerte
Les managers cumulent les contraintes : production, encadrement, gestion de conflits, reporting et suivi des équipes. Résultat : 58 % ressentent souvent du stress intense (contre 52 % des cadres non-managers) et 62 % disent devoir penser à trop de choses à la fois. Près d’un sur deux (47 %) estime que la santé mentale de ses collaborateurs dégrade la sienne. À cela s’ajoutent des tensions accrues : 84 % rencontrent des conflits au travail au moins occasionnellement, contre 64 % des autres cadres.
L’étude pointe une difficulté chronique à concilier les multiples rôles attribués aux managers : produire tout en protégeant, contrôler tout en soutenir. Sans formation adaptée ni espaces d’échange, beaucoup affrontent seuls les crises internes. Leur équilibre de vie est mis à mal, d’autant plus qu’ils restent connectés en permanence. Les experts appellent à renforcer le suivi de leur charge de travail et à créer de véritables communautés de pairs pour rompre l’isolement.
L’identité cadre, moteur et piège à la fois
Au cœur du problème se trouve la culture du dépassement : 83 % des cadres estiment essentiel de se dépasser dans leur travail, et cette proportion monte à 89 % chez les managers. Cette exigence identitaire rend la vulnérabilité difficile à exprimer. Plus d’un tiers craignent qu’évoquer leurs difficultés freine leur carrière (39 % des managers, 32 % des non-managers). Seuls 37 % en parlent à leur supérieur hiérarchique et 24 % à la médecine du travail.
Cette autocensure s’accompagne de comportements paradoxaux : pour faire face au stress, 39 % des managers ont pris un jour de repos, mais 37 % ont… augmenté leurs horaires de travail. Ce sur-engagement, perçu comme un devoir d’exemplarité, alimente un cercle vicieux d’épuisement et d’isolement. Pour les experts, rompre avec cette logique suppose de redéfinir la performance cadre, d’instaurer un droit réel à la parole et d’intégrer la santé mentale dans la formation et l’évaluation managériale.
Lien vers l’étude : urlr.me/HdUMzK