Que dit le projet de loi ?

  • Une augmentation du budget, des embauches et de nouvelles places de prison.

Selon les propos même du garde des sceaux Éric Dupond-Moretti, ce projet de loi est de nature à « tourner la page du délabrement et de la clochardisation de la justice française ».   De 9,6 milliards d’euros à ce jour, le budget du ministère de la Justice atteindrait ainsi 11 milliards en 2027. Cette augmentation permettrait l’embauche de 10 000 personnes en cinq ans, dont 1 800 postes de greffiers et au moins 1 500 postes de magistrats. Par ailleurs, 600 conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP) sont prévus, ainsi qu’un nombre indéterminé de surveillants pénitentiaires contractuels, dont le contrat de trois ans sera renouvelable une fois. En ce qui concerne l’immobilier pénitentiaire, 15 000 nouvelles places de prison sont également envisagées.

  • L’activation à distance des objets connectés

Bien plus que les questions budgétaires, c’est l’article 3 de cette proposition de loi qui cristallise les débats. En effet, celui-ci dispose que « lorsque les nécessités de l’enquête ou de l’instruction relative à un crime ou un délit puni d’au moins cinq ans d’emprisonnement l’exigent, le juge des libertés ou de la détention, à la requête du procureur de la République, ou le juge d’instruction peut autoriser, dans les mêmes conditions que celles mentionnées au 1er et 2e de l’article 230-33 (du Code de procédure pénale, ndlr), l’activation à distance d’un appareil électronique à l’insu ou sans le consentement de son propriétaire ou possesseur aux seules fins de procéder à sa localisation en temps réel. La décision comporte alors tous les éléments permettant d’identifier cet appareil ».

Par ailleurs, l’article précise que l’activation à distance des objets connectés sera régie par le même article de loi que celui qui dispose de l’autorisation de placer un traqueur GPS sur un véhicule et donc, à des seules fins de géolocalisation. Seuls des crimes ou des délits passibles de plus de cinq ans de prison seraient donc concernés. 

Toutefois, le projet de loi évoque aussi l’amendement de l’article 706-96 du Code de la procédure pénale. Pour l’heure, cet article dispose la possibilité de recourir « à la mise en place d'un dispositif technique ayant pour objet, sans le consentement des intéressés, la captation, la fixation, la transmission et l'enregistrement de paroles prononcées par une ou plusieurs personnes à titre privé ou confidentiel, dans des lieux ou véhicules privés ou publics, ou de l'image d'une ou de plusieurs personnes se trouvant dans un lieu privé. » Le projet de loi envisage qu’à l’avenir, plutôt que d’exposer des enquêteurs aux dangers liés à l’installation de ce type de matériel, "le juge des libertés et de la détention, à la requête du procureur de la République, ou le juge d’instruction, après avis du procureur de la République, peut autoriser l’activation à distance d’un appareil électronique à l’insu ou sans le consentement de son propriétaire ou de son possesseur ». La captation d’images ou de conversations n’émaneraient donc plus d’installations spécifiques, mais des objets connectés appartenant à la personne visée (smartphones, webcam, voire babyphone). Ces pratiques s’inscriraient dans le cadre des « techniques spéciales d’enquête », utilisées dans des cas très précis comme le terrorisme, le meurtre, la torture, le viol ou le crime organisé. 

Selon Éric Dupond-Moretti, ce texte n’a pour objectif que de poser un cadre à des techniques déjà existantes et légales, mais nécessitant la pose de balises, de micros et de caméras. Il a notamment argumenté que « l’idée est de faire prendre le moins de risques possibles aux officiers de police judiciaire, de les protéger ».

Critiques : 

Ce texte fait l’objet de nombreuses critiques. Au Sénat, certaines interventions ont argué que « « toute conversation dans l’espace public est alors sous écoute », qu’il s’agissait d’une mesure « très intrusive » ou d’un texte « liberticide », penchant dangereusement vers « une pente totalitaire ».

De son côté, le site « La quadrature du net » a fait paraitre un communiqué de l’Observatoire des Libertés et du Numérique, dans lequel est évoqué la dangereuse démultiplication des intrusions policières, « en transformant tous nos outils informatiques en potentiels espions ». Le communiqué souligne par ailleurs le caractère « particulièrement inquiétant de voir consacrer le droit pour l’Etat d’utiliser les failles de sécurité des logiciels ou matériels utilisés plutôt que de s’attacher à les protéger en informant de l’existence de ces failles pour y apporter des remèdes. » Il argue surtout qu’il existe un « effet cliquet : une fois qu’un texte ou une expérimentation sécuritaire est adopté, il n’y a jamais de retour en arrière ».

Analyse FO-Cadres :

  • Avril 2023 : Adoption par le Parlement du projet de loi relatif aux Jeux olympiques et paralympiques de 2024, dont l’article 7 autorise l’expérimentation de la surveillance algorithmique autour et dans les enceintes sportives, ainsi que dans les transports ;
     
  • Juin 2023 : Adoption par le Sénat de la proposition de résolution relative à la reconnaissance biométrique dans l’espace public ; 
     
  • Juillet 2023 : Projet de loi dite « Justice », qui permet l’activation à distance des objets connectés.

Dans le premier cas, rien à craindre d’une généralisation de la surveillance de masse : il ne s’agit que d’une expérimentation, visant à renforcer la sécurité de l’organisation des JO. Expérimentation qui durera jusqu’au 31 mars 2025, alors que la cérémonie de clôture des Jeux est prévue le 11 août. Dans le deuxième, rien à craindre non plus : elle s’inscrit dans une logique de régulation et de cadrage. Et dans le troisième, rien à craindre : elle ne fait, là encore, qu’encadrer une pratique existante, tout en renforçant la sécurité des OPJ.

Dans les faits, en quelques mois, force est de constater une ruée vers la surveillance numérique et algorithmique. Cette banalisation induit nécessairement la question des libertés. En la matière, il existe une grande différence entre une caméra qui filme un acte isolé au cours d’une rencontre sportive et dont les images sont analysées par des humains et la même caméra effectuant l’identification par elle-même. Il existe une différence entre le fait de permettre, dans des circonstances très précises, à certains OPJ de placer des appareils de vidéosurveillance ou de géolocalisation au cours des enquêtes et le fait de détourner des objets connectés appartenant à des citoyens en les activant à distance.

Encore et toujours, c’est la question du « que voulons-nous » qui doit se poser. Pour y répondre efficacement, il faut envisager toutes les conséquences possibles des lois et des projets de loi qui se succèdent. Que permettront-ils quand il s’agira d’utiliser ces technologies dans le cadre de manifestations ? Dans le cas d’une prise de pouvoir d’un groupe politique à visée totalitaire ?

Il faudra donc prêter la plus grande attention au parcours législatif de ce projet de loi. Affaire à suivre.