APPARENCE PHYSIQUE ET TENUE VESTIMENTAIRE

1/ une liberté individuelle…

La tenue vestimentaire relève de la liberté individuelle du salarié. Chacun peut s'habiller comme il l'entend. La législation protège cette liberté.

2/…mais pas fondamentale 

La Cour de cassation a apporté, en 2003, une information essentielle : « La liberté de se vêtir à sa guise au temps et au lieu du travail n'entre pas dans la catégorie des libertés fondamentales » (Cass. soc., 28 mai 2003, no 02-40.273). La distinction est d'importance, une liberté individuelle ne peut être supprimée en totalité par l’employeur. Elle peut seulement être réglementée.

Il ressort de l’article L.1121-1 du code du travail que « nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché. »

Les raisons autorisant éventuellement l'employeur à émettre des restrictions :

  • Justification liée à l'hygiène, la santé ou la sécurité ;
  • Sauvegarde des intérêts légitimes de l'entreprise ;
  • Contact avec le public et la clientèle.

3/ Une liberté figurant dans la liste des discriminations interdites 

La prise en compte de l'apparence physique figure expressément dans la liste des discriminations prohibées à l’article L 1132-1 du code du travail. Il est par exemple formellement interdit de s'appuyer sur l'apparence physique d'un candidat pour refuser de l'embaucher.

L’avis du défenseur des droits : « La prise en compte de l'apparence physique est un sujet complexe à appréhender pour les employeurs dans la mesure où il renvoie aux biais cognitifs les plus inconscients. Certains recruteurs estiment même que dans la mesure où elle reflète l'identité sociale, l'apparence constitue un élément d'information pertinent dans le cadre du processus d'embauche. En outre, dans la mesure où le port de certains vêtements ou accessoires ou d'une certaine coiffure relève d'un choix, les recruteurs estiment qu'il est légitime d'écarter les candidats arborant un style qui ne correspondrait pas à l'image de l'employeur. »

4/ Exemples concrets : 

• Le port d'une tenue "trop décontractée" 

« S'il est exact que la restriction de la liberté individuelle de se vêtir doit être justifiée par la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché, la salariée était en contact avec la clientèle de l'agence immobilière. La décision de l'employeur de lui interdire de se présenter au travail en survêtement était justifiée. » (Cour de Cass, 6 novembre 2001, 99-43.988)

Un salarié agent technique des méthodes a été licencié après être venu travailler en bermuda pendant plusieurs jours et ce, en opposition ouverte avec ses supérieurs hiérarchiques qui lui demandaient oralement puis par écrit de porter un pantalon sous la blouse prescrite par le règlement intérieur de l'entreprise. Réponse de la Cour de cassation : « si, en vertu de l'article L. 120-2 du Code du travail, un employeur ne peut imposer à un salarié des contraintes vestimentaires qui ne seraient pas justifiées par la nature des tâches à accomplir et proportionnées au but recherché, la liberté de se vêtir à sa guise au temps et au lieu du travail n'entre pas dans la catégorie des libertés fondamentales (…) la tenue vestimentaire du salarié était incompatible avec ses fonctions et ses conditions de travail (Cour de Cass, 28 mai 2003, 02-40.273).

De la liberté de se vêtir à la discrimination 

Un salarié chef de rang dans un restaurant prestigieux, a été licencié pour avoir refusé d'ôter pendant le service les boucles d'oreilles qu'il portait. L'employeur à bon droit faisait valoir que son restaurant gastronomique recevait une clientèle attirée par sa réputation de marque, laquelle impose une tenue sobre du personnel en salle ; que le salarié, serveur dans ce restaurant, était au contact direct de cette clientèle et qu'ainsi le port de boucles d'oreilles pendant la durée du service était incompatible avec ses fonctions et ses conditions de travail. Mais où est le hic ? La lettre de licenciement ! Cette dernière indiquait "votre statut au service de la clientèle ne nous permettait pas de tolérer le port de boucles d'oreilles sur l'homme que vous êtes", ce dont il résultait que le licenciement avait pour cause l'apparence physique du salarié rapportée à son sexe (Cour de cass, 11 janvier 2012, 10-28.213).

Il y a moins d'un an, un steward d'Air France auquel le référentiel du personnel navigant interdisait de se présenter à l'embarquement avec des cheveux longs coiffés en tresses africaines nouées en chignon, alors qu'il l'autorisait au personnel féminin a été mis à pied. C'est en vain que la compagnie invoquera la préservation de l'image de marque et « la perception sociale de l'apparence physique des genres masculin et féminin ». La Haute juridiction a jugé qu’une telle interdiction « caractérisait une discrimination directement fondée sur l’apparence physique en lien avec le sexe » (Cour de cass, 23 novembre 2022, n°21-14.060).

• Les signes religieux au travail

L’article L.1132-1 du code du travail prohibe les discriminations fondées sur les convictions religieuses. Néanmoins, l’article L.1321-2-1 du code du travail reconnaît la possibilité pour un règlement intérieur d'inscrire un principe de neutralité restreignant la manifestation des convictions des salariés.

Au sein d’un service public : Une salariée exercée les fonctions de technicienne prestation maladie au sein d’une Caisse primaire d’assurance maladie. Dans cette affaire, la Cour va se fonder sur les principes de neutralité et de laïcité en considérant que ces principes sont « applicables à l’ensemble des services publics, y compris lorsque ceux-ci sont assurés par des organismes de droit privé », « peu importe que la salariée soit ou non directement en contact avec le public ». Elle considérait donc le licenciement comme fondé dès lors que la salariée participait à une « mission de service public ». En l’espèce, l’activité de la salariée n’est pas appréciée au regard des seules tâches qui lui sont dévolues mais eu égard à l’activité de l’organisme pour lequel elle travaille (Cour de cass, 19 mars 2013, 12-11.690).

Au sein d’une entreprise privée : Une salariée directrice adjointe d'une crèche a été licenciée pour violation du nouveau règlement intérieur, après avoir porté un signe religieux (foulard) sur son lieu de travail. Le problème est le suivant : un employeur de droit privé peut-il valablement restreindre la liberté religieuse de ses salariés dans le règlement intérieur ? Selon la Cour de cassation, la restriction de liberté de manifester sa religion telle que définie dans le règlement intérieur n'avait pas de caractère général. Cette disposition était suffisamment précise (objet, lieu, obligation), justifiée par la nature de la tâche à accomplir par les salariés de l'association et proportionnée au but recherché. Soit qu'il est question d'une obligation de neutralité en présence des enfants et des parents. De plus, elle constate que les statuts de l'association visent le développement d'une activité liée à la petite enfance, en dehors de l'implication de toute conviction religieuse. Finalement, la Cour confirme que le licenciement pour faute grave aux vues de ses précédents motifs était justifié en ce que : la salariée à refuser d'accéder aux demandes de l'employeur de ne pas porter de signe religieux ostentatoire et sur son insubordination répétée. Elle n'a pas respecté l'obligation de neutralité valable, posée par le règlement intérieur (Cour de cass, 25 juin 2014, 13-28.369).

S’ensuit une évolution législative en 2016 avec l’introduction dans le code du travail de l'article L.1321-2-1 : « le règlement intérieur peut contenir des dispositions inscrivant le principe de neutralité et restreignant la manifestation des convictions des salariés si ces restrictions sont justifiées par l'exercice d'autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l'entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché. »

Que faire si le salarié refuse ? Il est prévu qu'en cas de refus d'un salarié de s'y conformer, l'employeur doit rechercher s'il est possible de lui proposer un poste de travail n'impliquant pas de contacts avec les clients plutôt que de procéder au licenciement. Cette recherche se fait en tenant compte des contraintes inhérentes à l'entreprise et sans que l'entreprise ait à subir une charge supplémentaire.

En revanche en l'absence de clause de neutralité dans le règlement intérieur, la Cour de cassation juge qu'il s'agit d'une discrimination directe qui ne pourra donc être justifiée que par l'existence d'une exigence professionnelle et déterminante.

Attention : La frontière entre restriction légitime et abusive est extrêmement ténue.