Affaire n°1 : un enregistrement sonore à l’insu d’un salarié

Dans la première affaire, l’employeur avait licencié le salarié pour faute grave en raison de son insubordination sur la base d’un enregistrement sonore de deux entretiens enregistrés à l’insu du salarié. La Cour d’appel d’Orléans a écarté ces preuves sans même les examiner. (Cass. soc., 1er févr. 2023, n° 20-20.648)

Affaire n°2 : transmission d’une conversation privée sur Facebook

En l’espèce, un salarié intérimaire, engagé pour remplacer un salarié pendant ses congés, a accédé au compte Facebook de ce dernier installé sur son ordinateur professionnel, a ouvert la messagerie et a capté une conversation privée avec une collègue. Dans cette conversation Facebook, le salarié absent sous-entendait que la promotion dont avait bénéficié l’intérimaire était liée à son orientation sexuelle et à celle de son supérieur hiérarchique. L’intérimaire a transmis cette conversation à leur employeur. Le salarié ayant tenu ces propos sur Facebook a été immédiatement licencié pour faute grave. La Cour d’appel de Paris a écarté la preuve jugée déloyale. (Cass. soc., 1er févr. 2023, n° 21-11.330)

Que dit le droit ? 

La preuve déloyale est définie comme une preuve nécessairement obtenue à l'insu de l'intéressé, impliquant des manœuvres, stratagèmes, ou des moyens de surveillance illicite. Actuellement, la jurisprudence française, consacrée par un arrêt d'assemblée plénière (Cass, Plénière, 7 janvier 2011, 09-14.316 09-14.667), écarte les preuves déloyales.

L’approche de la Cour européenne des droits de l’Homme

La Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) adopte une approche différente, mettant en balance le droit au respect de la vie privée des salariés et l’intérêt pour l’employeur « d’assurer la protection de ses biens et le bon fonctionnement de l’entreprise ». Le seul impératif imposé par la CEDH est que soit assuré un débat contradictoire sur la force probante des preuves. 

La chambre sociale de la Cour de cassation a progressivement intégré cette approche dans ses décisions, en distinguant trois étapes pour évaluer la recevabilité d'une preuve illicite.

• le juge doit d’abord s’interroger sur la légitimité du contrôle opéré par l’employeur et vérifier s’il existait des raisons concrètes qui justifiaient le recours à la surveillance et l’ampleur de celle-ci ;

• il doit ensuite rechercher si l’employeur ne pouvait pas atteindre un résultat identique en utilisant d’autres moyens plus respectueux de la vie personnelle du salarié ;

• il doit apprécier le caractère proportionné de l’atteinte ainsi portée à la vie personnelle au regard du but poursuivi.

Vers une évolution de la jurisprudence en française ?

L'audience du 24 novembre a soulevé des débats. Différentes voies d’évolution de la jurisprudence ont été évoquées :

Les arguments en faveur du statu quo :

• ne pas inciter les parties à avoir recours à des procédés douteux. Il en irait du « vivre ensemble » qui n’est pas compatible avec un climat de suspicion ;

• éviter le tarissement des sources probatoires classiques plus difficiles à obtenir, surtout avec l’essor de l’intelligence artificielle ;

• ne pas alourdir la charge de travail du juge ;

• éviter le risque de casuistique, source d’insécurité juridique.

 

Les arguments en faveur d’une évolution de la jurisprudence :

• la mise en conformité avec la jurisprudence de la CEDH qui ne distingue pas entre la preuve illicite et la preuve déloyale ;

• l’unification du régime des preuves en matière civile, d’autant que la distinction entre la preuve illicite et la preuve déloyale n’est pas toujours simple à opérer ;

• la cohérence de la jurisprudence civile avec la jurisprudence criminelle. À défaut, la justice pénale risque d’être instrumentalisée dans les contentieux ;

• compte tenu de la généralisation des dispositifs de surveillance, le droit français est trop rigide. La vérité judiciaire doit s’approcher de la vérité factuelle. Il faut « réconcilier les citoyens avec leur justice civile » ;

• la preuve du harcèlement moral repose bien souvent sur des enregistrements clandestins. Le Défenseur des droits en appelle d’ailleurs à l’évolution des règles de preuve (avis 18-03, 25 janv. 2018 ; Décision-cadre 2022-139, 31 août 2022 relative aux conditions d’accès à la preuve de la discrimination en matière civile).

La décision, attendue pour le 22 décembre 2023, pourrait redéfinir les normes de preuve en droit du travail.