Une dynamique d’expatriation durable malgré un léger ralentissement

La mobilité internationale des cadres et ingénieurs français demeure soutenue, même si elle a ralenti depuis le Brexit et la pandémie. En 2023, on comptait 1,69 million d’inscriptions consulaires, soit 2,5 % de la population française, un chiffre stable depuis dix ans. Parmi les 1 137 000 ingénieurs en activité, 144 076 exercent à l’étranger, soit un taux d’expatriation de 13 %, qui grimpe à 15 % pour les seuls ingénieurs en emploi. Si la part des jeunes diplômés d’écoles d’ingénieurs partis travailler hors de France a légèrement reculé (9 % en 2023 contre 11,4 % en 2013), leur nombre absolu a progressé de 23 % sur dix ans, porté par l’augmentation du nombre de diplômés (+38 %).

Cette tendance s’explique en partie par une culture de la mobilité déjà ancrée : 44 % des talents interrogés ont étudié ou travaillé à l’étranger, et 67 % connaissent personnellement des expatriés. Parmi eux, un tiers envisagent sérieusement de franchir le pas. L’expérience internationale est largement valorisée dans les grandes écoles et les entreprises, et les dispositifs comme Erasmus ou le Volontariat international en entreprise (VIE) continuent d’encourager cette dynamique.

L’expatriation comme levier d’évolution, non comme fuite

Contrairement à l’image d’un exil contraint, l’expatriation est souvent un projet volontaire : seuls 10 % des répondants envisagent de partir parce qu’ils n’aiment pas leur travail ou ne veulent plus vivre en France. La grande majorité y voit un tremplin pour leur carrière et leur développement personnel. Près de 6 talents sur 10 envisagent de s’expatrier dans les trois ans, dont 61 % pour moins de cinq ans. Les motivations mêlent vie professionnelle et personnelle : découverte de nouvelles cultures, amélioration des conditions de vie, progression de carrière ou apprentissage linguistique.

Cette ouverture se reflète aussi dans leur rapport au monde : 63 % des talents considèrent la mondialisation comme une opportunité, contre 36 % des Français dans leur ensemble. L’expatriation suscite des émotions largement positives (74 % évoquent curiosité, respect ou admiration), notamment chez ceux qui l’ont déjà vécue.

Un modèle français attractif sur la qualité de vie mais fragilisé sur la rémunération

La France conserve des atouts solides pour retenir ses talents. 84 % des répondants citent au moins un élément du système social parmi les avantages à travailler dans l’Hexagone – protection sociale, congés payés, droit du travail – et 73 % ont une bonne image de l’écosystème professionnel de leur secteur (81 % chez les ingénieurs et cadres techniques). Les diplômés sont également très satisfaits de leur formation (90 %) et 75 % des actifs se disent satisfaits de leur situation professionnelle.

Cependant, la fiscalité (48 %) et la faiblesse des rémunérations (46 %) restent les principaux points noirs. Si ces facteurs n’ont pas de lien direct avec le désir d’expatriation, ils alimentent un sentiment de stagnation, notamment dans le secteur public. Les cadres les plus satisfaits et confiants dans leur avenir professionnel sont paradoxalement ceux qui envisagent le plus l’expatriation (33 à 34 %, contre 21 % en moyenne), preuve que la mobilité internationale s’inscrit dans une logique de progression plutôt que de fuite.

Canada et Suisse en tête des destinations envisagées

Lorsqu’ils choisissent leur destination, les répondants privilégient autant le cadre de vie (35 %) que les conditions financières (34 %), suivis par les opportunités professionnelles (30 %) et l’équilibre vie pro-vie perso (29 %). Le Canada (29 %) et la Suisse (22 %) arrivent largement en tête, devant les États-Unis (17 %) et l’Allemagne (16 %), grâce à leur attractivité économique, leur proximité culturelle ou linguistique et, dans le cas du Canada, une importante francophonie. La Suisse enregistre notamment une hausse de 56 % des ingénieurs français expatriés en dix ans.

Dans la réalité, ces destinations projetées correspondent aux flux observés. L’Amérique du Nord et l’Europe concentrent l’essentiel des mobilités, et les pays anglophones attirent 57 % des candidats à l’expatriation. La dimension culturelle reste centrale dans les choix, et 59 % citent des pays francophones parmi leurs préférences.

Des talents étrangers attirés mais confrontés à des obstacles d’intégration

Le baromètre met aussi en lumière la perception des talents étrangers. 85 % ont une image positive de l’écosystème professionnel français, saluent la diversité sectorielle (31 %) et valorisent la qualité de vie reconnue par l’OCDE. Néanmoins, ils pointent des salaires jugés trop faibles, une intégration linguistique et professionnelle parfois difficile, une culture d’entreprise éloignée des standards anglo-saxons et une bureaucratie lourde.

Ces obstacles, combinés à l’amélioration de la situation dans certains pays d’origine, pourraient à terme réduire l’attractivité française. Dans ce contexte, renforcer les politiques d’accueil, de reconnaissance des compétences et d’accompagnement des talents étrangers apparaît comme un enjeu stratégique pour conserver un avantage compétitif.

Le baromètre :urlr.me/QSDNeB