Un champ d’intervention massif, en expansion depuis les années 2000

Les aides publiques représentent aujourd’hui un poste majeur des budgets nationaux. En France, leur montant total se situait entre 100 et 200 milliards d’euros par an selon le périmètre retenu. Les travaux antérieurs menés pour FO et l’IRES avaient déjà mis en évidence une progression régulière : d’environ 30 milliards d’euros dans les années 1990, elles dépassent 100 milliards dès 2008 pour atteindre 157 milliards en 2019. Cette dynamique est portée par la hausse des dépenses fiscales, largement concentrées sur les coûts de production plutôt que sur l’innovation.

À l’échelle européenne, l’étude met en évidence des trajectoires contrastées. D’après le State Aid Scoreboard, les aides aux entreprises rapportées au PIB ont progressé de 12 % entre 2000 et 2019, mais avec de fortes disparités : autour de 1,5 % du PIB en Allemagne ou en Europe centrale en 2019, contre environ 0,5 % dans les pays méditerranéens. 

Des déterminants qui s’éloignent des explications classiques

L’étude teste plusieurs facteurs traditionnellement avancés pour expliquer le niveau d’intervention publique : niveau de développement, orientation politique, ou typologie des capitalismes. Ces variables se révèlent peu prédictives. Par ailleurs, les pays les plus riches n’accordent pas davantage d’aides publiques à leurs entreprises. Au contraire, lorsque le niveau de vie moyen est plus élevé, le recours aux aides fiscales tend à être plus faible. Cette tendance est confirmée par l’ensemble des données analysées, qui indiquent une relation clairement inverse entre richesse par habitant et niveau d’aides.

L’orientation politique des gouvernements n’explique pas non plus le niveau d’aides publiques. Les données montrent que les pays dirigés par des majorités de gauche n’en accordent pas davantage que ceux dirigés par des partis de droite. Les résultats sont tellement dispersés qu’aucune tendance nette ne se dégage. Enfin, les économies dites de marché libérales, coordonnées ou mixtes n’expliquent pas non plus les différences observées. Par exemple, les économies méditerranéennes présentent des aides plus faibles que prévu, tandis que le Royaume-Uni affiche un niveau comparable aux pays continentaux.

Une clé d’explication centrale : la compensation fiscale

L’étude montre en revanche un lien net entre le niveau de taxation et le volume d’aides publiques : plus la fiscalité d’un pays est élevée, plus il a tendance à soutenir ses entreprises par des aides fiscales. Parmi toutes les variables analysées, c’est celle qui explique le mieux les différences entre pays. Les aides publiques apparaissent ainsi davantage développées dans les pays où les charges fiscales sont les plus élevées, comme la France ou la Belgique.

L’étude souligne également une convergence des prélèvements obligatoires ajustés des aides publiques entre 1995 et 2019, traduisant deux stratégies distinctes : stabilisation ou baisse des prélèvements (comme en Allemagne), ou maintien d’une fiscalité élevée compensée par des aides importantes (France, Belgique). En 2019, ces deux pays se situent autour de 5 points de PIB d’aides publiques, contre environ 0,5 à 1 point dans d’autres États européens.

Une évaluation approfondie du cas français depuis 1949

La seconde partie du rapport propose une reconstruction historique des aides publiques depuis 1949. Elle met en évidence un glissement progressif vers les dépenses fiscales, au détriment des subventions directes. Plusieurs dispositifs bien connus des cadres et des entreprises – allègements de cotisations, crédits d’impôt, mesures de compétitivité – y occupent une place croissante.

L’étude mobilise une revue des travaux empiriques et des approches post-keynésiennes pour apprécier les effets de ces dispositifs. Elle conclut que l’augmentation du soutien fiscal a surtout contribué à restaurer les marges des entreprises dans un contexte de croissance faible, sans effets macroéconomiques clairs sur l’emploi ou l’investissement. Les dispositifs ciblés sur la R&D présentent également des effets contrastés, entre soutien réel et phénomènes d’aubaine déjà documentés dans la littérature.

Des enjeux de transparence et de mesure encore très présents

Le rapport souligne enfin les difficultés persistantes pour mesurer précisément les aides publiques, qu’il s’agisse de suivre les dépenses fiscales, d’identifier les bénéficiaires ou d’évaluer les contreparties attendues. Un récent rapport du Sénat évoque un périmètre d’aides compris entre 139 et 223 milliards d’euros en 2019, estimation que l’administration n’a pas été en mesure d’actualiser faute d’outils harmonisés et de données consolidées.

L’étude ici : https://urls.fr/R7Lv1Z