• Comment accueillez-vous la solution retenue par la chambre sociale ?

Cette décision n’est pas surprenante si l’on s’en tient aux dispositions du Code du travail qui y sont visées (Cass. soc., 3 avr. 2024, nº 22-16.812 B ; v. l’actualité nº 19018 du 9 avr. 2024)

Aux termes des articles L. 2312-78 et R. 2312-35 du Code du travail, c’est la seule et unique qualité de salarié ou de stagiaire qui confère un droit d’accès aux ASC. Les CSE ne peuvent donc recourir à une condition d’ancienneté pour exclure une partie des bénéficiaires prioritaires prévus par la loi. Selon nous, aucun autre critère d’exclusion ne saurait d’ailleurs être admis. Au-delà des considérations strictement juridiques, cette décision de la Cour de cassation est parfaitement conforme à la finalité historique de la mission confiée aux comités, dite « œuvres sociales » en son temps, qui est de faciliter notamment l’accès à la culture, au sport et aux loisirs aux travailleurs qui en ont le plus besoin.

  • Comment articuler cette solution avec la position de l’Urssaf qui admet une condition d’ancienneté limitée à six mois ?

Il est important de préciser que l’arrêt du 3 avril est un arrêt dit « de principe », qui pose ainsi une solution de portée générale ayant vocation à s’appliquer à des situations similaires.

Il faut, en outre, préciser que les tolérances Urssaf en matière d’ASC, qui trouvent leur source dans des documents internes à cette administration, n’ont pas de portée normative, c’est-à-dire qu’elles n’ont aucune valeur juridique. C’est ce qu’a déjà rappelé la Cour de cassation (Cass. 2e civ., 14 févr. 2019, nº 17-28.047 D ; Cass. 2e civ., 30 mars 2017, nº 15-25.453 B). La position de l’Urssaf qui tolère actuellement le critère de l’ancienneté dans la limite de six mois, ne peut donc valablement justifier le maintien de ce critère par les comités depuis la décision du 3 avril dernier.

Les CSE ont donc intérêt à se conformer à la décision de la Cour de cassation, sauf à s’exposer à de potentiels contentieux. Il est par ailleurs probable que l’Urssaf cesse à l’avenir de tolérer l’utilisation de ce critère d’exclusion des ASC.

  • Comment les CSE doivent-ils procéder pour se mettre en conformité ?

Les CSE devront rapidement (mais sans précipitation) modifier les règles d’attribution des ASC à l’occasion d’une prochaine réunion plénière du comité, après avoir porté un point correspondant à l’ordre de jour. La décision du comité devra être approuvée à la majorité des titulaires présents, sans participation du président, représentant de l’employeur.

Par suite, le CSE devra mettre à jour les documents afférents (catalogue des ASC, site internet, etc.) et informer les salariés des modifications adoptées, par la diffusion du procès-verbal approuvé de la réunion concernée, et pour plus d’efficacité, par une note d’information dédiée, laquelle pourra être diffusée sans attendre l’approbation du procès-verbal.

  • Quid des conséquences financières de la suppression de la condition d’ancienneté ?

Il est certain que l’arrêt du 3 avril 2024 peut emporter des conséquences financières pour un certain nombre de comités. Rappelons cependant que la rémunération des salariés en CDI comme en CDD est prise en compte dans la masse salariale servant au calcul du budget des ASC dès leur premier jour de travail.

La suppression de la condition d’ancienneté impose de revoir les budgets prévisionnels, désormais régulièrement, à l’aune de l’état des effectifs en temps réel. Les élus devront rappeler l’employeur - membre à part entière du comité par sa fonction de président - à son obligation de communiquer mensuellement au comité une information précise sur les effectifs (entrée/sorties, nombre de CDI, CDD et leur durée, etc.), de sorte que le comité puisse exercer sa mission.

Les élus peuvent commencer à évaluer les conséquences de ce changement des pratiques en se référant aux données relatives aux effectifs de l’année N-1 (en principe disponibles dans la base de données économiques, sociales et environnementales). L’expert-comptable du CSE pourra être sollicité pour aider les élus dans la construction de leur budget prévisionnel.

  • Comment gérer le cas des titulaires de contrats de courte durée ?

Rappelons que les salariés intérimaires ne sont pas bénéficiaires des ASC du CSE de l’entreprise utilisatrice, à la différence des salariés en CDD. Pour ces derniers, il convient de distinguer deux catégories de prestations :

- les activités accessibles en permanence, tout au long de l’année (bien souvent la billetterie, le sport, etc.), auxquelles les CSE devront donner plein accès dès le premier jour de travail. Les CSE pourront, au besoin, limiter le nombre de tickets de cinéma et autres billetteries par mois, trimestres, etc. ;

- les activités ponctuelles liées à un événement (Noël, fêtes des mères et des pères, vacances, sorties, etc.) pour lesquelles les CSE devront s’assurer que les salariés en CDD seront toujours à l’effectif pendant la période de distribution ou d’accès à ces avantages. Il est certain que la gestion des commandes de prestations sera impactée, mais les CSE devaient déjà anticiper la situation des nouveaux embauchés en CDI. Il conviendra dès lors d’en faire autant pour tous les salariés en CDD, au regard de la durée de leur contrat lorsqu’elle est connue (CDD à terme précis). L’exercice sera en revanche plus délicat pour les CDD sans terme précis.

  • Quels sont les risques Urssaf et contentieux pour les CSE appliquant une condition d’ancienneté ?

Il est difficile de préjuger de la position de chaque inspecteur Urssaf mais les entreprises dans lesquelles les CSE recourent actuellement au critère de l’ancienneté ne devraient pas faire immédiatement l’objet d’un redressement de ce chef et les CSE devraient être invités, en cas de contrôle, à modifier sans délai leurs critères d’attribution.

En revanche, les salariés actuellement exclus du bénéfice des œuvres sociales à raison de l’ancienneté sont parfaitement fondés à demander au CSE d’en bénéficier immédiatement avec rattrapage le cas échéant, les décisions de la Cour de cassation ayant un effet rétroactif.

Enfin, les CSE qui persisteraient dans le maintien du critère de l’ancienneté s’exposent à des contentieux initiés tant par les salariés lésés en vue d’obtenir les prestations non versées et, le cas échéant, des dommages et intérêts, que par une organisation syndicale ou par tout membre du comité pour faire annuler la clause litigieuse relative à l’ancienneté.

  • Est-il tout de même possible de « moduler » les ASC selon l’ancienneté ?

Pour la Cour de cassation, c’est « l’ouverture du droit de l’ensemble des salariés et des stagiaires au sein de l’entreprise à bénéficier des activités sociales et culturelles [qui] ne saurait être subordonnée à une condition d’ancienneté ». Il s’évince de cette formulation que les CSE ne peuvent recourir au critère de l’ancienneté pour exclure des salariés du bénéfice des ASC. La Cour ne se prononce pas directement sur la question de la modulation des œuvres sociales au regard de l’ancienneté. Il n’existe pas à notre connaissance de décision de la Cour de cassation sur ce point.

Il est, en revanche, constant que l’Urssaf n’admet pas la modulation selon l’ancienneté des salariés, laquelle peut constituer un motif de redressement. Si la position de l’Urssaf ne s’impose pas aux juges comme nous avons déjà pu l’évoquer, il est conseillé aux CSE de ne pas retenir ce critère dans le cadre de la modulation, l’organisme de recouvrement considérant que la modulation doit reposer sur des critères sociaux et objectifs (quotient familial, revenu fiscal de référence, rémunération du salarié, etc.).

  • Quelles recommandations donner aux CSE pour tirer au mieux les conséquences de cet arrêt ?

Cette évolution importante du régime des ASC constitue, selon nous, une opportunité pour ouvrir au sein de chaque CSE une réflexion globale sur la politique des ASC et mener un véritable audit des pratiques actuelles.

Pour pallier les conséquences de la décision du 3 avril, les CSE pourront décider d’une plus grande modulation des prestations entre les bénéficiaires, de mieux cadrer dans le temps la distribution ou l’accès à certaines activités, de demander aux prestataires d’adapter leurs prestations (notamment les plateformes) et revoir au besoin les clauses contractuelles, etc.

Source : https://urlz.fr/qzfD (Liaisons sociales Quotidien)