[caption id="attachment_9322" align="alignleft" width="84"]Eric Pérès, vice-président CNIL, secrétaire général FO-Cadres Eric Pérès, vice-président CNIL, secrétaire général FO-Cadres[/caption]

"Environ 15% des plaintes adressées à la Cnil sont liées au travail. Les technologies de plus en plus avancées ne cessent de poser de nouvelles problématiques en termes de contrôle et de confidentialité. Eric Peres, vice-président de la Cnil (*), revient sur leur impact sur le travail et les défis qu'elles posent à l'organisme de régulation.

Actuel-RH : On a le sentiment qu'aujourd'hui les salariés sont de plus en plus autonomes mais aussi de plus en plus contrôlés ?

Eric Pérès : Oui. Les entreprises se sont toujours efforcées de contrôler le travail des salariés. C'est une tendance toujours actuelle mais en même temps le lien avec l'entreprise se reconfigure. Le principe d'unité de temps et de lieu est remis en cause par les nouvelles technologies.
Actuel-RH : Ces évolutions entraînent-elles une méfiance réciproque des salariés et des employeurs ?

Eric Pérès : La méfiance constatée résulte de l'incompréhension de ce qui se passe actuellement. La notion de Big data a débuté avant 2000 ; or, en France, nous avons été incapables de prendre le train en marche. Il y a eu un désintérêt pour cette question. Pourtant, ces innovations technologiques sont un plus pour l'entreprise car le salarié va chercher ailleurs la ressource dont il a besoin. Il faut recréer un nouveau management bâti sur la confiance et moins sur une volonté quantificatrice. Plus on renforce les moyens de pression et de subordination, plus on risque d'obtenir l'effet inverse. De manière générale, il est impératif d'éduquer à l'usage du numérique, d'apprendre à maîtriser son identité numérique.
Actuel-RH : Quel rôle joue la Cnil face à ces évolutions ?

Eric Pérès : La Cnil, ce n'est pas qu'un pouvoir de sanction. Nous avons de plus en plus un rôle de conseil, de formation et d'accompagnement dans l'usage du numérique. J'en veux notamment pour illustration la pratique des labels qui permet d'accompagner dans l'ingénierie et la réflexion pour la formation des CIL par exemple. Avec cette labellisation, la Cnil joue un rôle de co-régulation. Nous travaillons de plus en plus avec des DRH qui sont fortement impactés par le numérique - outil de contrôle et de suivi - mais aussi les recruteurs aidés par les systèmes d'algorithmes.
Actuel-RH : Géolocalisation, vidéo-surveillance,... Comment la Cnil encadre-t-elle ces pratiques ?

Eric Pérès : En matière de géolocalisation, la Cnil est intervenue pour que le salarié puisse déconnecter le système pendant sa pause déjeuner par exemple (recommandation du 16 mars 2006). S'agissant de la vidéosurveillance, nous avons récemment condamné publiquement une société (délibération du 17 juillet 2014). Le message que nous voulons faire passer aux entreprises est qu'elles ne peuvent pas délibérément mettre en place un système de vidéosurveillance qui filme les salariés en continu sur leur lieu de travail. Certaines entreprises ont la tentation de mettre en place ce type de dispositif car elles ont le sentiment d'avoir de moins en moins de contrôle sur les salariés.
Actuel-RH : L'une de vos priorités est aussi de mieux encadrer l'utilisation de la biométrie ?

Eric Pérès : C'est l'un des enjeux majeurs. Nous allons réfléchir très prochainement à un meilleur encadrement de la pratique. (lire les prescriptions de la Cnil en matière d'utilisation de la biométrie sur les lieux de travail). Il ne s'agit pas d'interdire totalement l'usage de la biométrie. Actuellement, face à un tel dispositif, nous interrogeons sa finalité. S'il s'agit de contrôler le temps de travail ou l'accès à la cantine, nous le refusons car il existe d'autres dispositifs pour le faire. Ensuite quelle est la finalité recherchée : sécurité ou confort ? Lorsqu'il y a un impératif de sécurité, la biométrie doit être installée avec un cahier de charges très poussé. Lorsqu'il s'agit d'un dispositif "de confort", les salariés doivent pouvoir refuser de s'y soumettre et l'entreprise doit proposer une solution alternative.
Actuel-RH : Quel regard portez-vous sur le télétravail ?

Eric Pérès : Beaucoup trop d'entreprises en France ne franchissent pas le pas de la mise en place négociée du télétravail en raison du poids de la règlementation et d'une culture du management vieillissante. Les craintes des entreprises pour la confidentialité et la sécurité des données sont légitimes mais c'est moins cela qui préoccupe le management que le contrôle du travail effectif. La tentation est alors souvent de surenchérir les processus de contrôle lorsque le télétravail est mis en place. Or avec les nouveaux outils numériques, les salariés s'octroient eux-mêmes des marges de manœuvre et les gains de productivité attendus sont de l'ordre de 20%. Le télétravail ne doit pas être perçu comme un outil purement de rationalisation. Il doit répondre aux besoins des salariés. Il n'est efficace que s'il est associé à une marge d'autonomie pour les salariés.

(*) Eric Pérès est par ailleurs secrétaire général de FO Cadres.
Par Florence Mehrez"

 

Source : Actuel RH