FO-Cadres : Le gouvernement s'est engagé à réformer les retraites avant la fin de l'année. Faut-il selon vous les réformer une fois de plus ?


Pierre Concialdi : Il faut d'abord s'entendre sur les mots. On ne peut guère parler de « réforme » des retraites depuis 20 ans quand tout le monde constate, y compris des organisations internationales comme l'OCDE, que le taux de remplacement va baisser à la suite des changements programmés. Selon l'OCDE, le taux de remplacement pour une carrière complète devrait baisser (après réformes) de plus de 20 %, soit autant que dans un pays comme la Suède, souvent cité pour avoir accompli une réforme « exemplaire » de son système de retraite. Et ce chiffrage ne tient pas compte du fait que de plus en plus de salariés ne pourront pas avoir la durée de cotisation nécessaire pour percevoir une pension complète. Aujourd'hui déjà, on constate que près de 4 salariés sur 10 (38 %) sont concernés par le mécanisme plancher du minimum contributif ; ce pourcentage était de 19 % en 1990.


Cette régression du niveau des pensions va s'approfondir avec le temps. Avec les réformes en cours - et sans nouveau changement - le rapport entre la pension moyenne et le salaire moyen baissera d'environ 30 % entre 2010 et 2050. Dans 40 ans, ce rapport sera le même qu'au début des années 1970, à une époque où il y avait 28 % de retraités pauvres, soit quatre fois plus qu'aujourd'hui. Ces changements toucheront davantage les cadres dont la pension dépend largement, dans le secteur privé, des régimes complémentaires qui ont également subi des « réformes » importantes. Entre 1990 et 2010, le « rendement » de ces régimes a baissé d'environ 30 %. Ce « grand bond en arrière » pénalisera surtout les plus jeunes générations qui subiront de plein fouet les effets des réformes en cours. Il y a donc une hypocrisie certaine à « réformer » les retraites au nom de « l'équité » entre les générations, alors que ce sont les plus jeunes qui en pâtiront le plus. Si l'on veut éviter le retour massif de la précarité et de la pauvreté parmi les retraités, il faut donc effectivement réformer notre système de retraite, au sens propre du mot, c'est-à-dire redresser la barre pour restaurer des niveaux de pension satisfaisants. Ce n'est pas dans ce sens que s'inscrivent les projets du gouvernement qui refuse toute hausse des ressources pour financer les retraites.



F.C. : L'allongement de la durée de cotisation et le report de l'âge légal sont les principales mesures avancées par les pouvoirs publics. Sont-elles inéluctables pour sauver nos retraites ?


P.C. : Les choix en matière de retraite sont des choix de société et de répartition, dans tous les sens du terme. Dans ce domaine, rien n'est jamais inéluctable. Qu'entend-on d'abord par « sauver » les retraites ? Dans le discours gouvernemental, il s'agit d'équilibrer les comptes des régimes de retraite en abaissant le taux de remplacement des pensions. Le gouvernement campe sur une ligne simple : il faut geler le taux de cotisation et donc nécessairement ajuster à la baisse le niveau des pensions au fur et à mesure du vieillissement de la population. C'est un peu comme si on annonçait qu'on allait « financer » les prochains repas en limitant la taille du menu et en réduisant le contenu de l'assiette.


Les mesures avancées par le gouvernement, non seulement ne sont pas inéluctables, mais ce ne sont tout simplement pas des réponses. Il faut rappeler que l'allongement de la durée de cotisation est déjà inscrit dans la loi de 2003 et que cette mesure était censée résoudre la question du financement à l'horizon 2020. A l'époque, François Fillon avait exhorté les salariés à rester au travail et les chefs d'entreprise à ne plus exclure prématurément les salariés âgés — « Sinon, on ne pourra pas allonger la durée de cotisation », avait-il déclaré. Depuis la loi de 2003, l'âge de cessation d'activité n'a guère bougé... mais le discours de François Fillon n'est plus le même. Le gouvernement persiste dans sa volonté d'allonger encore davantage la durée de cotisation. Or c'est une voie sans issue. Il y a en effet une véritable contradiction à augmenter la durée de cotisation nécessaire pour avoir une pension complète alors que la durée de vie professionnelle diminue.


Le recul de l'âge légal n'est pas non plus une solution. Car l'âge légal de départ à la retraite n'est pas l'âge auquel les salariés cessent leur activité. Dans les autres pays européens, l'âge légal est généralement supérieur de 5 ans à celui de la France. Mais l'écart est beaucoup plus faible pour l'âge de cessation d'activité : 61 ans en moyenne dans l'Union européenne, contre environ 59 ans en France. Conséquence : avant la retraite, les salariés passent davantage d'années qu'en France dans une période de précarité faite de chômage ou d'inactivité. En moyenne, cette période est de 4 ans contre un peu plus d'un an dans notre pays. Le gouvernement et le patronat poussent des cris d'orfraie à l'idée d'augmenter les cotisations sociales, ce prélèvement moderne qui permet de financer les pensions sans accumulation de capital. Mais ils proposent de « financer » les pensions par un prélèvement bien plus archaïque : celui qui oblige les salariés à travailler plus, c'est-à-dire à donner davantage de leur temps pour avoir le même niveau de pension.



F.C. : Les scénarios du COR chiffrent le besoin de financement de nos régimes de retraites entre 72 et 114 milliards d'euros d'ici à 2050. Que pensez-vous de ces scénarios ? Selon vous peut-on faire face à un tel besoin de financement sans pénaliser notre économie ? Si oui comment ?


P.C. : En résumé, les scénarios du COR tablent sur une quasi-stabilité de l'emploi sans baisse de la durée du travail. Dans ce cadre, les gains de productivité sont intégralement « affectés » à la croissance de la production et des revenus. Ce qui signifie que la production, la consommation et la masse de tous les revenus qui y correspondent devraient approximativement doubler (en pouvoir d'achat) au cours des 40 prochaines années. Ce sera aussi le cas pour les salaires. Car personne, pas même le patronat, ne conteste le fait que le partage entre salaires et profits devrait au moins rester stable au cours des 40 prochaines années. L'adhésion du patronat à ce consensus n'est guère étonnante, puisque la part des salaires se situe à son plus bas niveau depuis 60 ans.


Pour les salariés, ce scénario n'a cependant rien de catastrophique, surtout lorsqu'on le compare à celui des 30 dernières années. Ils gagneront dans 40 ans deux fois plus sans travailler plus. C'est donc à cette aune qu'il faut évaluer le besoin de financement des retraites. Est-il véritablement « insupportable » de prendre entre 4 % et 6 % des 2000 milliards de revenus supplémentaires disponibles dans 40 ans pour couvrir les quelques 100 milliards nécessaires pour financer nos retraites ? La question mériterait d'être posée aux salariés. Même dans l'hypothèse où ces derniers devraient supporter intégralement ce coût, les gains de pouvoir d'achat resteraient bien supérieurs à ceux des 30 dernières années.


La véritable catastrophe pour les salariés serait que ce scénario, pourtant consensuel, ne se réalise pas et que la part des salaires continue de baisser. C'est bien dans ce sens qu'il faut interpréter la volonté du gouvernement et du patronat de bannir toute hausse des financements pour les retraites.



F.C. : L'augmentation de la cotisation est un levier de financement pour les retraites. Mais d'aucuns considèrent que ce levier pénaliserait à la fois le pouvoir d'achat des salariés et notre compétitivité par un accroissement du coût du travail. Qu'en pensez-vous ?L'augmentation de la cotisation est un levier de financement pour les retraites. Mais d'aucuns considèrent que ce levier pénaliserait à la fois le pouvoir d'achat des salariés et notre compétitivité par un accroissement du coût du travail. Qu'en pensez-vous ?


P.C : Si les salaires évoluent au même rythme que la productivité, comme le projettent les scénarios du COR, une hausse des cotisations sociales (même limitée aux seules cotisations salariales) ne pénalise jamais le pouvoir d'achat. Elle se traduit simplement par un léger ralentissement de la hausse du pouvoir d'achat. Dans un scénario où l'on abrogerait les réformes de ces vingt dernières années (avec des besoins de financement environ trois fois supérieurs à ceux évalués aujourd'hui par le COR), la hausse du pouvoir d'achat des salaires nets serait, au minimum, de 1,4 % par an, contre 1,8 % si le taux de cotisations sociales restait figé à son niveau actuel. C'est l'éventail des choix possibles.


Quant à l'impact sur le coût du travail, il doit aussi tenir compte de ces gains de productivité. Le gouvernement avance l'idée qu'une hausse d'un point du taux de cotisation détruirait 50 000 emplois. Si l'on suivait ce raisonnement, aucune hausse des salaires ne serait possible au cours des prochaines décennies. Car du point de vue de l'employeur, une hausse des cotisations sociales ou une hausse des salaires a le même impact sur le coût du travail.


Cette idée est bien sûr absurde et, aussi, en totale contradiction avec les scénarios du COR. Dans ces projections, le « coût du travail » (la dépense moyenne par salarié employé) devrait augmenter d'environ 100 % en 40 ans. Ces scénarios ne prévoient pas pour autant que 5 millions d'emplois seront détruits ! Tout simplement parce que la main-d'oeuvre sera deux fois plus productive et que la hausse du coût de la main-d'oeuvre sera compensée par cette hausse de la productivité. L'idée qu'il faudrait travailler plus pour gagner plus vise à occulter cette réalité.


En réalité, on ne peut pas sérieusement raisonner sur la variation du coût du travail sans prendre en compte les évolutions de la productivité. Avec une productivité deux fois plus élevée, un employeur peut sans problème payer ses salariés deux fois plus. C'est exactement le message délivré par les scénarios du COR.