Vie privée du salarié connectéSi l’on comprend bien tout l’intérêt de vivre à une époque où la machine ultraconnectée est devenue le support inévitable de l’homme, tant dans sa vie personnelle que professionnelle, et où l’apparition des traitements de données en masse (ce que l’on nomme Big Data) ouvre des perspectives presque infinies de développement de business, il faut garder à l’esprit que ces évolutions majeures peuvent devenir les premiers outils d’une forme d’aliénation, par la surveillance, l’évaluation des performances et le contrôle du salarié, qui n’est plus jamais déconnecté de son univers professionnel (pour le cadre, la cohabitation des usages privés et professionnels sur un même téléphone - on parle de BYOD pour Bring Your Own Device - est désormais chose commune).

On assiste ainsi depuis quelque temps à une redéfinition des rapports entre les salariés et les entreprises qui ont pris le virage numérique. Aux côtés des sujets classiques (et majeurs en période de crise) tels que les rémunérations, le dialogue social, ou la formation, de nouvelles questions émergent, en lien notamment avec la mesure des compétences et des performances.

Dès lors, employeurs, employés et autorités de régulation s’interrogent sur le cadre éthique et juridique de la mise en données du monde du travail : comment gérer les besoins de salariés mobiles, aux usages numériques intenses ? À ces questions s'ajoutent les interrogations des cadres, inquiets de constater l’étendue et la légitimité du contrôle que l’entreprise peut exercer sur ses employés pour des pseudo-raisons de confidentialité ou de performance. Avec le travail collaboratif et nomade, les relations avec l'employeur sont plus diffuses et le contrôle des supérieurs devient moins direct, sans pour autant réduire en intensité.

Dans cet environnement, le cadre revendique de plus en plus une autonomie que les organisations hiérarchiques ont du mal à appréhender. Les modes d'évaluation et les indicateurs de la performance changent et les entreprises tentent de se doter de moyens pour mesurer les nouveaux indicateurs « qui comptent », comme le capital relationnel, le travail cognitif, entrant alors pleinement dans la dimension de l'intime, la personnalité des salariés, ces derniers se révélant peu enclins à vivre ce type d’intrusion. L’ère du tout-numérique conduit ainsi nécessairement à repenser l’organisation du travail. D’un côté, il appartient à l’entreprise de mettre en œuvre une politique de sécurité informatique et un système de gestion de la sécurité de l’information du salarié afin de rassurer ce dernier. De l’autre côté, le salarié doit être sensibilisé et informé sur les risques de sécurité susceptibles d’engendrer des incidents critiques sur les données professionnelles, particulièrement les cadres, dont la fonction par essence est de manipuler des données confidentielles, décisionnelles ou critiques.

Il est plus que temps, pour l’entreprise et le cadre, de retrouver confiance l’un en l’autre. FO-Cadres mène à ce titre une réflexion prospective autour de ces mutations des relations de travail, car les questions juridiques et éthiques qui se posent concernent à la fois les pratiques des individus au travail et les pratiques de l’entreprise vis-à-vis des salariés cadres. L'enjeu est de réussir à donner de l'agilité par le biais des nouveaux outils numériques tout en évitant de reproduire dans le monde du travail des situations permanentes de transparence et de traçage qui seraient des décalques malheureux de la situation que les individus vivent comme consommateurs ou internautes.

Eric Pérès

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