[caption id="attachment_9309" align="alignleft" width="120"]Robert Beraud, DS Syntec Robert Beraud, DS Syntec[/caption]

Pourquoi FO n’a-t-il pas signé l’avenant du 1er avril 2014 modifiant le régime du forfait jours dans la branche Syntec ?

Robert BERAUD : Techniquement, n’ayant pas signé l’accord sur la durée du travail du 22 juin 1999, nous ne pouvions pas signer cet avenant, qui concerne l’article 4 de l’accord de branche.

Ensuite il s’est avéré que le collège patronal voulait « sécuriser » le forfait jours par rapport aux derniers arrêts de la Cour de cassation, mais au seul bénéfice des employeurs, sans véritablement aller sur le fond. Sa stratégie consiste à énoncer des principes sans assurer l’effectivité des mesures de protection des salariés.

De plus, le patronat a affaibli le texte de 1999, sur la référence à l’autonomie complète, sur les coefficients admissibles pour l’accès au forfait jours et les minima de salaire : les articles 4.1 et 4.4 sont explicitement dérogeables, ce qui signifie que n’importe quel salarié de la branche peut être en forfait jours, sans la garantie d’un salaire au moins égal à 120 % du minimum conventionnel de son coefficient.

L’avenant laisse même la possibilité d’une mise en place directe des dispositions de branche sur le forfait jours, sans passer par un accord d’entreprise.

À elles seules, ces régressions justifient notre désaccord.

 

Quelles étaient les revendications de FO pour sécuriser au mieux le forfait jours ?

Le forfait jours a été mis en place dans notre branche par l’accord de 1999 sur la réduction du temps de travail, à côté de deux modalités horaires de travail. Le forfait jours est un mode flexible d’organisation du travail, destiné au salarié en autonomie complète qui doit bénéficier lui aussi d’une réelle réduction du temps de travail.
Par comparaison avec les modalités horaires où un salarié à 35h hebdomadaire travaille 227 jours par an en moyenne, la durée attendue pour un salarié en forfait jours travaillant 217 jours par an (sans le jour de solidarité), serait de 36,61 heures par semaine en moyenne.

Le problème survient lorsque le salarié en forfait jours voit augmenter son temps de travail au-delà du raisonnable. Aujourd’hui, seul s’applique le droit au repos journalier et hebdomadaire fixés par la directive européenne de novembre 2003, qui limite la durée hebdomadaire du travail à 13h par jour et 78h par semaine, bien au-delà du raisonnable comme l’indique le Comité européen des droits sociaux (CEDS) dans ses conclusions de décembre 2010.

C’est dans ce sens que la Cour de cassation condamne la pratique du forfait jours lorsque ni l’accord de branche ni les accords d’entreprise « (…) ne sont de nature à garantir que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition, dans le temps, du travail de l’intéressé, et, donc, à assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié (…) »

Mais si du fait de son autonomie, on ne peut prévoir a priori la durée journalière ou hebdomadaire de travail d’un salarié en forfait jours, on peut très bien la contrôler a posteriori.

De fait, l’employeur décompte toujours en heures, pour les salariés en forfait jours : le temps de formation, les heures de délégation des représentants du personnel, le temps de grève…

Nous avons proposé de limiter la durée journalière de travail (à 10h par exemple), d’enregistrer les heures effectivement réalisées et de contrôler régulièrement ces heures (une fois par mois, tous les deux mois ou par trimestre) et de prendre des mesures correctives si la durée moyenne hebdomadaire attendue est dépassée, sous forme de rémunération ou de récupération, de diminution de la charge de travail...

C’est à notre avis la seule manière de répondre aux conclusions de la Cour de cassation et du CEDS, dans le sens attendu pour les salariés.

 

Les modifications apportées par le texte répondent-elles à ton sens aux exigences de la Cour de cassation (arrêt du 24 avril 2013) ?

L’avenant ne propose pas réellement de mesures effectives pour assurer le droit au repos des salariés et la protection de la santé et de la sécurité des salariés. Tout dépendra donc de l’application qui sera faite dans chaque entreprise. Ce sera du cas par cas, comme aujourd’hui. N’auront pas de problèmes celles qui appliquent des mesures concrètes de suivi du temps et de la charge de travail à leurs salariés en forfait jours réellement autonomes et ayant une durée raisonnable de travail. Mais celles qui pratiqueront un « dumping social » au détriment de leurs salariés seront encore sanctionnées… à condition que les salariés saisissent la justice.
Mais attention à la stratégie du patronat qui modifie l’accord de branche à la marge et dérégule au maximum la durée du travail dans les entreprises. À la commission de validation des accords sans délégués syndicaux (pour les entreprises de moins de 200 salariés), le collège patronal valide tous les accords d’entreprise dérogatoires et moins-disant pour les salariés. Le patronat crée ainsi une situation de fait et, à plus ou moins long terme, espère bien faire sauter toute référence à une durée légale du travail en pratiquant un lobbying intense pour faire évoluer le droit à son avantage.

Que penses-tu du droit à la déconnexion prévu dans l’avenant au regard de l’engouement médiatique qu’il a suscité ?

C’est une mesure à prendre mais qui n’est valable que complétée par d’autres mesures (concernant par exemple les astreintes, le temps de trajet en mission...) pour assurer une durée et une charge de travail raisonnables.
Le droit à la déconnexion n’a qu’un effet limité si le salarié peut utiliser un PC portable de chez lui, déconnecté du réseau de l’entreprise, pour préparer une présentation, un rapport, développer un logiciel… Est-ce que l’employeur accepte que le PC portable reste au bureau le soir et le week-end ? Être un salarié autonome, c’est aussi ne pas avoir à répondre immédiatement à toutes les sollicitations, tout le temps.

Avant tout, le salarié doit avoir une séparation nette entre sa vie professionnelle et sa vie privée.

 

Pour aller plus loin :  
Lettre trimestrielle FO-Cadres n°157 - "Temps de travail : forfait jours"
Sécurisation du forfait jours : du chemin reste à parcourir
La convention de forfait en jours sur l'année